*CHRONIQUE PARUE DANS L’HEBDOMADAIRE MEDIABASK DU 4 JUILLET 2024
Comment continuer à parler de diversité économique quand l’idée même de diversité est impactée par le contexte politique?
Cette chronique devait être le 3ième épisode du feuilleton sur l’économie territoriale[1]. Je vous aurais montré combien la diversité économique était un vrai choix politique ! La condition pour maintenir une diversité sociale et sociologique d’un territoire, diversifier compétences et emplois, milieux sociaux…
Mais le choc politique du 9 juin (sans présager des résultats des Législatives)[2] est passé par là. Ici comme dans la grande majorité des territoires, ce vote ne traduit pas un problème réel d’insécurité. Il est l’expression d’une insécurité existentielle pour celles/ceux qui s’identifient à la nation française. Cette nation leur a vendu une promesse de « grandeur », qui s’est notamment édifiée sur un suprémacisme culturel et sur un pacte social d’un Etat redistributeur. Un temps révolu[3].
La puissance de la France s’est faite, on le sait bien, au détriment d’autres peuples et nations – en Afrique ou ailleurs, ou ici même dans l’hexagone – avec des ressources naturelles et culturelles préemptées. Sa prétention universaliste devait s’imposer partout, jusqu’à créer des tensions avec des sociétés qui ont besoin de temps pour inventer leur propre chemin de libération.
La raison d’être de l’Etat français était de favoriser l’accès à un certain confort matériel et de générer une méritocratie verticale (accès à un meilleur poste, à une représentation associative, syndicale, politique, etc.). Un moyen d’être intégré, reconnu, adoubé par cette « nation ».
La liberté s’est confondue avec une forme d’individualisme matérialiste, une liberté de consommation et une acceptation d’un contrôle social grandissant. Le rêve égalitariste s’est souvent traduit par une forme de gommage des différences, en appliquant droits et devoirs sans prendre en compte la diversité des personnes et des situations. Et au final, comme le résumait si bien Coluche : « les hommes naissent libres et égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres ». Quant à la fraternité, elle est restée à quai…
La France pensait faire société avec ces idées de progrès, en favorisant des identités sociales et professionnelles, sectorielles… Mais, en même temps, la désindustrialisation du pays et son ouverture tous azimuts aux marchés internationaux ont cassé ces identités et des métiers et des savoir-faire que l’on peine aujourd’hui à reconstituer. Un nouvel ouvriérisme est né dans les métiers du commerce, des services, du soin… Avec des petits boulots mal payés et dévalorisés, sur des territoires de moins en moins accessibles (prix du logement, etc.). Le système institutionnel est devenu brutal, avec centralisation et digitalisation des services publics qui éloignent toujours plus du contact humain.
L’insécurité ressentie par une grande partie de la population est celle de n’avoir plus accès à cette ascenseur social et à un certain niveau de vie (alors que la transition écologique invite à être de plus en plus sobres). Et il ne s’agira pas de se focaliser sur le « pouvoir d’achat », de prendre telle mesure dite sociale, qui, par ailleurs, continue à remplacer le citoyen par le consommateur. Une consommation qui génère une fuite économique et un appauvrissement des emplois (comme nous l’avons expliqué dans la chronique du 23 mai).
Face à ce sentiment de déclassement, beaucoup se sentent méprisés par une autre partie de la population qui a eu accès aux études, aux « places » : cultivée, sachante, qui parle aisément des « milieux populaires »… pour ne pas dire qu’elle n’en fait pas partie. Cet embourgeoisement culturel a gagné tous les milieux dits « progressistes » qui défendraient les bonnes causes (écologie, minorités, etc.) face à ceux qui votent pour l’extrême droite, et qui n’auraient rien compris…
Nous nous heurtons à notre incapacité à dialoguer d’égal à égal avec d’autres milieux, à écouter d’autres points de vue même s’ils dérangent nos certitudes. Cette absence de considération de l’autre a nourri une violence sociale qui rejaillit à nouveau aujourd’hui.
La réponse politique de tous les gouvernements depuis une vingtaine d’années a été d’alimenter un vieux récit républicain fait de retour nostalgique à l’ordre, de laïcité à tout crain, de centralisme de l’Etat-Nation… Une trajectoire en décalage avec une société en recomposition qui doit réinventer ses solidarités internes et externes, décentraliser la décision et redonner du pouvoir d’agir à chacun.e. La France a mal à sa diversité.
Il nous faudra bien décoloniser notre imaginaire : cette « pensée blanche » (comme l’a décrit si bien Lilian Thuram dans son livre) qui reproduit constamment des registres de dominations et de supériorités culturelles, que nous avons combattus ici pour nous-mêmes. Décoloniser notre approche de ceux qui sont en difficulté et sur lesquels on a la prétention de poser nos analyses.
Si le Pays Basque n’échappe pas à cet héritage élitiste et au creusement d’une société à deux vitesses, il porte en lui, encore, des ressorts qui lui sont propres. J’ai espoir que la société basque est capable d’inventer un autre chemin, entre épanouissement individuel et sens du collectif, entre liberté et respect des valeurs communes. Beaucoup d’ingrédients sont réunis ici, parmi lesquels : une identité forte et une altérité toute aussi forte pour les cultures du monde ; une vivacité des traditions et d’une culture populaire, en dialogue avec la création internationale ; un entreprenariat multiforme et orienté vers un mieux disant territorial ; une capacité à se réapproprier localement et avec notre culture des défis globaux ; un engagement sur de nombreux terrains sociaux et la recherche d’un vivre ensemble pour tou.te.s…
La société basque a su ces 30 dernières années créer une démocratie locale, un dialogue entre élus et société civile, un débat transversal que l’institutionnalisation récente a quelque peu altéré. Saurons-nous capables d’inclure de larges secteurs de la société tout en affirmant notre identité ? Saurons-nous renouveler notre propre pacte social et démocratique et ouvrir le débat local au plus grand nombre ?
Ne restons pas à côté de ce qui se passe dans la société française. Ecoutons ces souffrances et retroussons-nous les manches pour, ici en Iparralde, faire société.
[1] première chronique sur l’urgence économique, deuxième sur la biodiversité économique
[2] cette chronique a été réalisée avant le 1er tour des législatives. Il s’agit ici d’une version plus longue que celle parue dans l’hebdo.
[3] pour approfondir sur la crise du modèle français d’intégration, voir ICI la remarquable analyse synthétique de Michel Casteigts