Préservons notre biodiversité économique!*

 

Pour contribuer à la lutte contre le changement climatique, le développement économique n’est pas le problème mais la solution. 

Dans notre chronique du mois dernier, nous avons vu la limite de ne regarder la transition qu’à travers le prisme des émissions territoriales de CO2 : nous occultons toute une part de notre empreinte écologique liée à nos biens de consommation. Les mouvements citoyens comme des collectivités publiques sont focalisés sur les secteurs les plus émetteurs sur leur territoire (logement, transport, agriculture…), alors que les leviers locaux restent finalement très limités[1]. Cette gestion de la transition par la « calculette C02 » peut même inciter à moins produire localement (car produire c’est émettre du CO2) et alimente un désintérêt de la société pour l’économie, voire un discours anti-industrie. Non seulement nous ne prenons pas notre part de responsabilité dans la dette écologique[2] de notre consommation (très majoritairement importée), mais nous hypothéquons notre propre avenir : dépendance aux marchés mondiaux et appauvrissement du tissu économique local, des emplois et compétences de demain.

Et pourtant, comme l’explique l’économiste Arnaud Florentin** : la transition écologique offre un important potentiel de diversification ; et inversement, elle ne pourra être envisagée sans un tissu productif diversifié. Diversifier la production permet de limiter le réchauffement climatique, en maximisant les échanges économiques locaux. Voilà une vraie contribution territoriale au défi climatique : remplacer le plus possible les produits importés par une production locale peu carbonée. C’est l’un des axes majeurs pour faire la « transition économique »[3].

A. Florentin a étudié des dizaines de territoires de par le monde pour arriver à la démonstration suivante (chiffres à l’appui) : les territoires qui résistent le mieux aux mutations et aux déséquilibres extérieures sont ceux qui disposent d’une diversité suffisante d’activités de production (industrie, agriculture, artisanat)[4]. Par analogie à l’écologie forestière, A. Florentin appelle ces territoires des « forêts productives » : ils sont résilients face aux cycles économiques, au changement climatique, au coût des matières premières et du transport, etc. Cette diversité nécessite une certaine densité d’activités sur un même grand bassin économique (supérieur à 250 000 habitants), car la densité accroît un développement organique : les forêts clairsemées, on le sait, perdent leur biodiversité.

Quelles sont les clés de réussite de ces territoires ? Un investissement dans les coopérations inter-entreprises, dans la recherche de parentés entre activités et familles de produits, qui permettent des sauts productifs et d’innovation, des boucles produits-déchets, des partages de compétences et de métiers. Ce développement organique favorise les débouchés locaux, booste l’économie et l’emploi, et réduit les flux extérieurs au territoire (donc les émissions de CO2).  Il est également démontré que la diversification fonctionne mieux lorsque les nouvelles activités sont étroitement liées aux activités préexistantes. On en revient à l’ancrage territorial: l’économie est une histoire, un construit social et culturel. Cela est bien entendu très évocateur pour nous ici, en Iparralde.

Or la pensée économique dominante depuis les années 80[5] a poussé les collectivités territoriales à faire un peu le contraire : politiques d’attractivité pour capter des richesses, des entreprises, des revenus touristiques, politiques de spécialisation économique et soutien massif aux filières exportatrices… Avec toujours plus d’équipements et d’infrastructures, de métropolisation et de « mise en marché » du territoire. Toutes ces richesses ne profitent au final que très partiellement au territoire : elles agissent comme un seau percé avec une consommation orientée vers des achats importés d’autres territoires[6].

Ce potentiel de développement économique local est, selon A. Florentin, sous-exploité à 80% ! Il le dit bien : l’avenir est à « l’entreprise hyper-locale »[7] pour réinventer d’autres modèles économiques à partir des territoires. Le local recèle donc de marges de progression très importantes : et si on s’y mettait ?

 

** »Et si l’antidote à l’urgence climatique était la diversité économique », de Arnaud Florentin (Editions de l’Aube, 2023)

[1] Les règles environnementales sur le logement échappent au local, quand la production du neuf continue à se faire essentiellement en béton (cf. les émissions des cimenteries !). Pour le transport, et malgré les efforts sur l’offre de transport public, plus de 80% de nos déplacements se font toujours en voiture, et il y a fort à parier que cela ne changera qu’à la marge. Cela renvoie au modèle énergétique, où le local ne pourra répondre à un tel volume de besoins énergétiques pour la mobilité. Quant aux règles pour l’agriculture, elles se décident entre Paris et Bruxelles… et on a pu le mesurer tout récemment encore. Les règles locales d’urbanisme se focalisent plus sur la quantité de foncier à ne plus urbaniser – imposée par le « ZAN* » – ou de logement à produire, que sur des critères qualitatifs (comme la qualité des terres agricoles préservées). La dispersion des compétences (entre local, régional, national…) est un autre frein à la capacité à changer les choses au niveau des territoires.

[2] On parle beaucoup de la dette carbone, mais il faut y rajouter les autres impacts environnementaux des productions venues du monde entier, sur l’eau, les ressources, la pollution des sols et de l’air… sans parler de la dette sociale et sanitaire…

[3] Voir article ICI sur la transition économique

[4] On entend par activités productives : l’agriculture, les activités de transformation, d’extraction, les manufactures, la maintenance, la réparation… Dans « l’économie productive » on y rajoute les services directement associés à ces activités, mais externalisés.

[5] Celle notamment de la « théorie de la base économique », déployée en France notamment par Laurent Davezies, favorisant la captation de revenus extérieurs (touristes, nouveaux habitants..) dépendants du système fiscal et de redistribution.

[6] D’après Utopies, les achats locaux par le secteur hôtellerie-cafés-restauration est estimé à 30%. -café. Le cabinet démontre que les aires urbaines les plus métropolisées en France sont tournées à 85-90% sur les marchés extérieurs.

[7] Autre ouvrage récent co-écrit par A. Florentin (éditions Pearson, oct. 2023)

*CHRONIQUE PARUE DANS L’HEBDOMAIRE MEDIABASK DU 23 MAI 2024 (dans une version plus courte.)