REPORTAGE
Quand on remonte la vallée du Saison, l’identité industrielle de la Soule est visible partout. Marqué par l’industrie de la chaussure, le territoire compte aujourd’hui des entreprises de pointe, notamment dans le secteur aéronautique. Rencontre avec des chefs d’entreprises.
La trajectoire de Mathieu POURILLOU est sans doute un exemple de l’effet « écosystème territorial » : la maison familiale Lopitz (l’éveil, en basque) donnera le nom de la nouvelle entreprise qu’il co-fonde avec son père, après sa formation à l’ESTIA, et un apprentissage chez Messier à Oloron. Dans son bureau situé à l’entrée même de l’entreprise – tel un gardien du temple familial – Mathieu nous explique l’aventure commencée en 2002. Une première activité de peinture industrielle à Tardets, puis un développement sur toute la vallée, en s’appuyant sur un tissu d’usineurs locaux, en redéployant des savoir-faire, jusqu’à investir, ces dernières années, dans l’usinage du composite. Des acquisitions successives, du côté de Pau, ou plus récemment sur Tarnos, permettent au groupe LOPITZ de stabiliser son centre de décision souletin, où se trouvent les 2/3 des 250 emplois. Le cœur du groupe est SPI AERO, 100% lié à l’aéronautique. L’entreprise a su diversifier ses donneurs d’ordre (Safran, Airbus…) et ses commandes (hélicoptères, avions d’affaire, etc.). SPI AERO s’est spécialisé dans le traitement de surface des pièces aéronautiques, et il est réputé dans l’hexagone. En nous faisant visiter les ateliers, Mathieu Pourillou nous montre combien l’activité est artisanale : « On est dans la continuité de l’espadrille à Mauléon, avec des métiers très manuels ; on fait de l’artisanat de luxe ». Mathieu est fier d’employer 50% de femmes, des ouvriers venus d’autres secteurs économiques de la vallée, des migrants aussi qui ont trouvé du boulot ici. « Notre implantation au Portugal est aussi une jolie histoire : nous avions un client dans le village de Pinhel, et c’est de cette région que venaient des ouvriers pour travailler dans les entreprises d’espadrille à Mauléon ! ». Les bâtiments de SPI AERO sont à l’endroit même où se fabriquaient des semelles en caoutchouc, les fameux pataugas.
De LOPITZ à l’ODACE, le glissement se fait très vite. Investi dans cette association de développement économique, Mathieu Pourillou partage avec Jean-Jacques Carriquiriborde et Beñat Elkegaray, co-gérants de l’entreprise ELKAR, cette préoccupation du développement futur de la vallée. Tous les ans, la présidence de l’ODACE est tournante, mais tout le monde assure une continuité en restant actifs le plus longtemps possible au conseil d’administration de cette structure, véritable tour de contrôle de l’économie souletine mais aussi à l’impulsion de nouveaux dispositifs locaux. A 200m à peine de Lhopitz, les dirigeants d’ELKAR, nous accueillent dans l’échos de leur réunion le matin même à l’ODACE: « notre génération n’est pas focalisée sur le seul développement de nos entreprises – on connaît les dispositifs de financements, et il n’y pas ici de turn over important du personnel – mais par le développement plus global de la vallée. Comment créer un environnement favorable, loger les actifs, faire en sorte qu’ils restent, mobiliser les acteurs de la formation, comme avec Xibetek. Ici, en Soule, le développement économique de la vallée est entre les mains des acteurs professionnels ». C’est le cas de XIBETEK, pour réduire les écarts de niveau de formation avec les besoins des entreprises. L’une des problématiques clés pour l’industrie locale. C’est tout l’esprit de IBAR BERDEA [cf. encadré à droite] : être attractifs, mais aussi commencer par bien se nourrir, soutenir la production et la consommation locale ».
ELKAR c’est l’histoire d’une amitié, « deux copains d’école qui jouent la pelote ensemble » et qui repèrent de nouveaux besoins dans l’industrie aéronautique. Jean-Jacques CARRIQUIRIBORDE est passé par Safran (anciennement Messier, à Oloron), Beñat ELKEGARAY par Artzainak. Formés à un logiciel 3D, ils commencent à deux à la pépinière. Ils passent assez rapidement de la conception d’outillages à la fabrication, en local, et sont aujourd’hui 36. Ils doivent répondre à des systèmes complexes et un secteur aéronautique qui rationnalise ses achats vers des prestataires qui maîtrisent la chaîne de valeur. ELKAR est non seulement spécialisée dans la mesure 3D et le contrôle de pièces industrielles, la métrologie tridimensionnelle qu’un créateur d’outillages de précision (manutention, levage, fraisage…) : « de véritables prototypes ! », nous disent-ils fièrement. Ce savoir-faire leur permet de diversifier leurs activités vers d’autres secteurs : agroalimentaire, ferroviaire, hydroélectricité, photovoltaïque… La crise de 2008 est un premier avertissement : ils commencent à travailler avec CAF (le constructeur ferroviaire, dont le siège est à Beasain, en Gipuzkoa). Ils vont créer une antenne à Ordizia, près de Tolosa. Si l’aéronautique représente encore près de 70% du chiffre d’affaires, leur objectif est bien d’en dépendre de moins en moins. La visite des ateliers permet de découvrir un atelier protégé où des trains d’atterrissages d’avions sont passés au crible d’une machine très rare dans le secteur.
Quelques centaines de mètres plus loin, nous retrouvons Michel ETCHEBEST, en discussion avec Beñat Cazenave et Olivier Arhets, qui ont repris la direction du Groupe ARTZAINAK (250 emplois, dont 150 en Soule). Tout jeune retraité, Michel Etchebest est en train de finaliser cette phase de transmission et se réinvestit déjà dans l’accompagnement de porteurs de projets.
Les origines d’Artzainak remontent aux années 80 : Michel vient d’une famille d’agriculteurs, plutôt réputés comme innovants dans leur exploitation. L’avenir de la vallée, chevillé au corps, il veut créer de l’activité et des emplois, et décide au final de parier sur l’industrie. Mais c’est autour de 1998 qu’Artzainak passe un cap et dessine une stratégie industrielle, travaillant aussi bien avec le secteur aéronautique qu’avec d’autres secteurs. Une stratégie à la fois d’indépendance de production (créer ses propres produits) et de diversification pour ne pas dépendre des donneurs d’ordre de l’aéronautique, qui ne représente aujourd’hui que 20% du chiffre d’affaires. Cet échange avec Michel Etchebest permet aussi d’aborder un autre sujet : la difficulté à transmettre des PME d’une certaine taille qui ont pris beaucoup de valeur. En effet, céder ou transmettre une entreprise se fait sur la base d’une évaluation de sa valeur (état financier, carnet de commande, mais aussi patrimoine, renommée…), établie par des comptables et auditeurs spécialistes. Et les impôts se calculent sur cette valeur… Il devient ainsi impossible pour des salariés (actionnaires ou pas) de racheter une entreprise. Michel a trouvé un moyen, très peu développé en France et beaucoup plus dans les pays du nord de l’Europe : créer une fondation actionnaire et lui céder ses parts, pour que le centre de décision demeure en Soule. Un telle fondation combine mission économique et philanthropique, en réinvestissant les dividendes dans des projets d’intérêt général. Pour continuer à investir en Soule. Dépité face au mouvement de désindustrialisation en France, et de décideurs politiques déculturés de ces enjeux, Michel nous rappelle le modèle d’Euskadi qui a misé sur sa réindustrialisation, soit une des plus grandes densités industrielles au monde : Iparralde regarde si peu vers le Sud…
[photo de Une : une des missions de l’Odace est de faire découvrir l’industrie aux nouvelles générations. (© Odace)]
PREPARER L’AVENIR
Historiquement dotée d’une association d’entreprises, la Soule a réussi avec l’ODACE à maintenir un outil local, dont la gouvernance est majoritairement contrôlée par les chefs d’entreprises. L’ODACE a su dépasser les aléas politiques, la création de la CAPB, pour se maintenir, et continuer à penser le développement de la vallée à partir des acteurs professionnels, en partenariat avec des institutions, des centres de formation. Selon les termes des entrepreneurs rencontrés : « Une véritable communauté de chefs d’entreprises », pour « être plus forts ensemble ». Outre l’appui aux entreprises, aux créateurs de projets, la gestion d’une pépinière, l’ODACE est aussi un lieu de réflexion stratégique, d’impulsion de projets structurants. Parmi ceux-ci, le partenariat avec AZIA (association de jeunes) pour valoriser les métiers du territoire, mais aussi XIBETEK : créer une plateforme à la fois technique et de formation sur le lycée de Chéraute, pour, comme nous l’indique Mathieu Pourillou, « faire monter en compétences les jeunes en local et adapter les formations aux besoins de nouvelles technologies de l’industrie ». Le plateau technique permettra aux entreprises d’accéder à trois cellules : impression 3D silicone, robotisation, décapage laser. La pugnacité des entrepreneurs a permis d’embarquer l’ESTIA (aujourd’hui gestionnaire et qui devrait y décentraliser une partie de sa formation d’ingénieur), la Communauté d’agglomération et la Région Nouvelle-Aquitaine. A l’ODACE on rêve sa vallée, on se projette sur l’avenir, et le pas suivant est celui d’une vraie projection à 10 ans. La Soule se développe, a de nombreux emplois à pourvoir, mais connaît encore une déprise démographique : l’attractivité est le premier sujet. Et cet avenir passe par le besoin d’attractivité : de nombreux emplois ne sont pas pourvus, la Soule se développe mais la population stagne. Des efforts sont en cours pour produire du logement pour des jeunes actifs. Le prochain rêve collectif (et en Soule, rêver c’est agir) pourrait s’appeler « IBAR BERDEA » (la vallée verte). L’ODACE est attente d’une réponse de fonds européens pour engager ce travail : un vrai projet de territoire, pour un développement nouvelle génération, orienté sobriété et écologie industrielle. La ruée vers l’or vert ? Le nouveau far west, la ruée vers l’or vert ? C’est en toute une stratégie d’attractivité qu’il faut élaborer pour répondre aux défis soulignés par les entrepreneurs : stopper la déprise démographique et attirer de nouveaux talents. Car si l’entrepreneuriat souletin montre une forte dynamique et une capacité certaine à transmettre (voire les réussites récentes à EMAC et Artzainak), il y a encore peu de créateurs d’entreprises venus de l’extérieur.
Ci-dessous (photos © bidean)
- Mathieu Pourillou, dans la ateliers de SPIE AERO (Groupe Lopitz)
- Jean-Jacques Carriquiriborde et Beñat Elkegaray dans un atelier d’ELKAR
- Michel Etchebest, Beñat Cazenave et Olivier Arhets, devant l’entrée du groupe ARTZAINAK

