La cérémonie d’ouverture des JO a célébré une forme de diversité culturelle dans un pays en proie à ses paradoxes. Matière à réflexion…
France Inter, le 24 octobre 2023 : « La vision malraucienne d’œuvres qui seraient éclairantes et d’autres moins… est surannée. Depuis l’inscription des droits culturels dans la loi NOTRe, chaque culture de chaque personne doit être considérée et respectée. Je crois que chacun nait avec une culture : une langue, une façon de parler, un récit familial… qui nous donnent une culture. On n’a pas à hiérarchiser les objets culturels… ». C’est Thomas Jolly (directeur artistique de la soirée d’ouverture des JO 2024) qui s’exprime au micro de Léa Salamé. Quelque peu abasourdie, la journaliste l’interpelle : « C’est-à-dire que Shakespeare vaut Britney Spears à vos yeux » ? Thomas Jolly : « mais complètement ! » Léa Salamé : « sérieusement » ?
Thomas Jolly réveille le débat sur la démocratisation culturelle, que la France n’a su concrétiser, de Malraux à Lang, de Lang à aujourd’hui. Des artistes et des figures de l’éducation populaire avaient essayé de trouver une 3ième voie, entre (schématiquement) l’animation socio-culturelle et la création pour la création. Un des grands hommes de théâtre avait théorisé sur un art « élitaire pour tous ». Il s’appelait Antoine Vitez et récusait l’opposition entre théâtre populaire et théâtre expérimental. En 68, il disait « le problème de la culture, c’est le problème du langage. Il y a ceux qui ont le langage et ceux qui sont hors langage. Il faut partir à l’envers. Et non point susciter des « besoins culturels », là où il n’y a pas de besoins culturels, mais partir du langage profond qui existe dans la tête des gens, ce qu’ils aiment, ce qui constitue un système de références. Concrètement. Sylvie Vartan, Léon Zitrone, le tiercé, Guy Lux, la publicité en général ».
Le contexte est à la fois différent et (c’est troublant) si semblable… Enfant du théâtre public, Thomas Jolly se réfère aussi bien aux auteurs contemporains qu’au music-hall et à la variété… Et pour le justifier se réfère aux « droits culturels ». C’est ce qui m’a interpellé dans cet interview.
Ce concept de droits culturels est entré dans les textes internationaux depuis une quarantaine d’années. l’UNESCO donnait dès 1982 une définition large de la culture intégrant toutes les dimensions liées au mode de vie. Une reconnaissance du patrimoine immatériel et des communautés culturelles, une valorisation des « capacités » culturelles de chaque individu à à exprimer son rapport au monde. Une approche de la culture à rebrousse-poil de celle de la « politique culturelle » française, largement reprise par les collectivités territoriales : « conception hiérarchisée, descendante et élitiste, qui repose sur l’accès à une offre culturelle institutionnalisée dont la légitimité est prédéterminée, en réponse à des besoins supposés de la population » (pour reprendre les termes d’un rapport du CESER Nouvelle-Aquitaine) [1].
Vitez ne parviendra pas à concrétiser cette 3ième voie. En 1981, il est nommé au théâtre national de Chaillot et Lang arrive au ministère. Un nouveau cycle de décentralisation institutionnelle et culturelle s’opère. Il reproduit un aménagement culturel des territoires par le haut, et accentue encore plus la séparation entre art et éducation populaire. La France ne parvient pas à desserrer son propre étau culturel : un pays qui a l’habitude de dire au peuple ce qui est bon pour lui, que ce soit par l’art ou l’éducation.
Le concept de droits culturels entre par effraction dans la loi en 2016. Cette même loi NOTRe sur laquelle la création de l’Agglo du Pays Basque s’est négociée avec l’Etat !
Si nos politiques culturelles locales n’ont pas su s’en saisir, les acteurs culturels et les artistes d’Iparralde ont pris en main leurs propres droits culturels. Nous aurions pu inviter Thomas Jolly à découvrir Bilaka qui allie subtilement création et tradition ; Axut ! qui investit le château de Latxague à Izura/Ostabat et revisite la scène de banquet ; partager avec des milliers d’autres spectateurs la cavalcade de Mendionde ou la pastorale de Camou-Cihigue ; ou enfin assister à Tardets au cabaret queer d’Altxa Lili !
Quelles perspectives ouvre le spectacle d’ouverture des JO ? Une célébration de la diversité culturelle, la recherche d’un énième récit national positif ? Une glorification de l’histoire dans un Paris plus central et muséal que jamais ? La transgression de référentiels, le dépassement de hiérarchies culturelles ? Chacun.e pourra apprécier à sa façon.
La Cérémonie d’ouverture a ouvert un petit débat entre les « modernes et les anciens ». Tout s’ouvre et se referme si vite…
[1] voir autre article sur le sujet ici!
*CHRONIQUE PARUE DANS L’HEBDOMAIRE MEDIABASK DU 14 AOÛT 2024