Culture et identité: d’autres politiques publiques sont-elles possibles?

L’institut culturel basque (EKE/ICB) avait organisé à Bayonne un colloque sur les Droits Culturels, en juin 2022. J’y avais animé l’une des dernières tables rondes*. L’occasion de se pencher sur ce sujet,  et de se demander si les « droits culturels » ouvrent de réellement de nouvelles perspectives et de nouveaux droits…

A la tribune de ce colloque, de nombreux experts de l’Alsace à la Navarre, institutions et associations, juristes et sociologues, et des artistes pour décliner ce « concept » entré dans les textes internationaux depuis l’après-guerre, en lien avec la question des droits de l’homme. Depuis la définition large de l’UNESCO sur la culture[1], aux conventions de Fribourg et Faro, les « droits culturels » sont entrés dans nos références philosophiques, politiques et juridiques… jusqu’à son inscription dans la loi NOTRe ![2]

D’abord parlons « philo ». Car le terme de « droits » est bien mal approprié ! Les « droits culturels » ne renvoient pas d’abord à des questions de droit (droit d’accès), de juridique… mais à celles de conditions d’épanouissement, de développement de nos « capacités », de nos ressources culturelles propres, de notre pouvoir d’agir, de penser, d’exprimer son rapport au monde, son humanité… Les droits culturels renvoient à une reconnaissance de la diversité culturelle, des communautés culturelles, du patrimoine culturel immatériel… Une conception de la culture à rebrousse-poil de la conception de la « politique culturelle » en France, qui (selon le rapport du CESER Nouvelle-Aquitaine[3]) dévalorise les pratiques culturelles avec une dissociation caricaturale entre « amateurs » et professionnels ». Le CESER est percutant : « Cette situation est essentiellement le fruit d’une conception héritée de la politique culturelle de l’État, largement reprise par les collectivités territoriales : conception hiérarchisée, descendante et élitiste, qui repose sur l’accès à une offre culturelle institutionnalisée dont la légitimité est prédéterminée, en réponse à des besoins supposés de la population ».

Nous avons bien compris qu’avec les Droits culturels, nous passons d’une approche des besoins (au sens de « manques » supposés) à celle de la prise en compte du « capital culturel » de chacun.e et à la possibilité qu’il.elle puisse développer ses propres ressources. Et pour le faire, tout réside dans les conditions que l’on réunit pour favoriser cette libre expression, de vraies rencontres humaines, inter-culturelles… ce qui suppose des droits et devoirs réciproques ! Lors du colloque, il a donc été question de « gouvernance démocratique », inhérente à la mise en œuvre de ces « droits culturels ». Bref, il n’y a culture que dans le partage réel. Ainsi, une œuvre d’art peut ne pas répondre à cette nécessité culturelle, quand un banquet populaire y répond pleinement !

Il s’agit de donner de la valeur aux échanges (inter)culturels, et ainsi évaluer nos pratiques, nos modes de production et de diffusion, nos modes de vie dans l’espace public comme dans les entreprises, pour interroger constamment si nous permettons toujours à l’autre de prendre sa part, librement… C’est à peu près cela la philosophie des droits culturels, et cela suppose (comme l’ont montré des acteurs associatifs), des outils, des méthodes…

L’inscription dans la loi NOTRe permet d’ouvrir un chantier sur la responsabilité de l’Etat et des collectivités territoriales pour garantir les droits culturels dans l’ensemble de leurs politiques publiques. Des chantiers sont menés par la Région Nouvelle-Aquitaine et la ville de Bordeaux.

Sans doute, cette approche par les « droits culturels » peut-elle ré-ouvrir des champs de réappropriation culturelle sur des territoires qui ont été asséchés de leur patrimoine culturel vivant.

Pour des territoires à forte identité, il semble que ce soit un moyen de faire « reconnaître » des spécificités culturelles grâce à un vocabulaire admis dans le code des collectivités. Avec sans doute la limite d’un concept… dans une paysage institutionnel qui a encore du mal à sortir de hiérarchies culturelles héritée des grands empires coloniaux.

A la fin du colloque de Bayonne, trois jeunes artistes ont démontré qu’en Pays Basque le lien entre culture populaire et création artistique est une réalité. Que ce territoire est déjà un laboratoire des « droits culturels ».

 

*table-ronde à retrouver ICI

[1] L’UNESCO a adopté en 1982 une définition large de la culture intégrant toutes les dimensions liées au mode de vie, rappelant que chacun.e doit pouvoir à la fois participer à la vie culturelle de son choix et exercer ses propres pratiques culturelles. Aimé Césaire l’a résumé ainsi : « La culture, c’est tout ce que les hommes ont imaginé pour façonner le monde, pour s’accommoder du monde et pour le rendre digne. ». Là où la Convention de Faro va plus loin que l’UNESCO c’est en nous encourageant à prendre conscience que l’importance du patrimoine culturel tient moins aux objets et aux lieux qu’aux significations et aux usages que les gens leur attachent et aux valeurs qu’ils représentent.

[2] Loi qui a défini en 2016 la nouvelle organisation des territoires (grandes régions, EPCI…) et la répartition des compétences.

[3] CESER (Conseil économique, social et environnemental régional) : « Droits culturels et pratiques en amateur », CESER Nouvelle-Aquitaine, mars 2020

CET ARTICLE EST UNE ADAPTATION D’UN PROJET DE TRIBUNE ECRIT EN JUILLET 2022