*CHRONIQUE PARUE DANS L’HEBDOMADAIRE MEDIABASK DU 7 NOVEMBRE 2024
Alors que se tient le salon annuel Lurrama, la démocratisation d’une agriculture nourricière semble une perspective encore longue à atteindre. Les démarches alimentaires territoriales tentent de s’immiscer dans un système bien verrouillé…
Pays et Quartiers de Nouvelle-Aquitaine (PQN-A) organisait début octobre une journée régionale* sur les coopérations entre le secteur agricole, le mouvement social et les collectivités locales, avec l’idée de faire avancer la « démocratie alimentaire ». Mais kezako ? La démocratie alimentaire exprime la nécessité pour les citoyens de « reprendre le pouvoir sur la façon d’accéder à l’alimentation, dans la reconnexion entre celle-ci et l’agriculture » (selon l’Unesco). Elle porte l’idée d’une nouvelle citoyenneté qui veut orienter l’évolution du système alimentaire. Elle questionne la justice sociale (accès à une alimentation durable, lutte contre les inégalités…) et les relations entre les acteurs (producteurs, consommateurs, distributeurs, pouvoirs publics…). Cette « citoyenneté alimentaire » se traduit par tout un mouvement sociétal autour des circuits courts, des jardins partagés…, visant à la fois à revenir à des productions locales et de qualité (alimentation durable), et à recréer du lien social entre consommateurs et producteurs. Ces dernières années, militants et chercheurs portent l’idée d’une « sécurité sociale de l’alimentation » (SSA) pour sortir d’un système où les produits alimentaires sont traités comme les autres produits de consommation. Un système ancré depuis l’après-guerre dans l’exportation massive des productions locales et l’importation massive pour la consommation locale. En écho aux réflexions internationales sur la reconnaissance d’un « droit à l’alimentation » (ONU), la SSA se réfère aux droits humains et à l’idée d’universalité d’accès à l’alimentation. Elle propose des dispositifs collectifs avec cotisations, caisses locales, conventionnement de produits locaux, etc.
Dans l’attente de nouvelles règles plus justes, des démarches alimentaires territoriales voient le jour à l’initiative d’acteurs sociaux, du monde agricole, ou des collectivités publiques, que la loi incite depuis une dizaine d’années à développer des plans alimentaires territoriaux (PAT). Ces PAT ont vocation à mettre en musique la gouvernance alimentaire du territoire, entre filières agricoles, distributeurs, restauration collective (publique et privée), et habitants/consommateurs… Ces PAT sont amenés à se pencher sur les enjeux de précarité alimentaire, d’éducation à l’alimentation, de santé, etc. Il est donc beaucoup attendu de ces PAT (généralement portés à l’échelle des EPCI), alors qu’ils demeurent des outils facultatifs et sans moyens propres prévus par la loi.
L’enquête menée par PQN-A sur la cinquantaine de démarches de ce type menées dans la région, montre de vraies difficultés opérationnelles liées notamment au manque de légitimité par rapport aux autres politiques publiques, au manque de moyens humains, techniques et financiers, aux résistances du monde agricole… En Pays Basque, un PAT existe à l’échelle de la Communauté d’agglomération. Une première évaluation par le Conseil de développement avait montré la déconnexion entre l’ambition du PAT et ses marges de manœuvre réelles. L’Agglo (comme dans les autres territoires) peine à pérenniser une gouvernance alimentaire et à dépasser le cadre restreint de ses compétences.
S’il était inimaginable, il y a 15 ou 20 ans, que les collectivités locales s’emparent du sujet agricole et alimentaire, elles tentent aujourd’hui de s’impliquer sur ce défi qui constitue l’un des piliers de la transition écologique. Mais, elles ne peuvent que décevoir : elles n’ont ni les moyens ni les leviers pour faire bouger le système de production et de consommation (typologies de productions, aides aux agriculteurs, maîtrise des prix, etc.). Dans cet environnement complexe, l’exigence de « démocratie alimentaire » peut – au-delà de l’idéal de société qu’elle porte – être le moyen de forcer ce dialogue entre les parties prenantes du système alimentaire pour faire émerger de nouvelles coopérations. Autrement dit : faire du PAT non un but en soi mais le moyen de créer de la co-responsabilité, de nouvelles transactions entre acteurs. Mais cela suppose de sortir du pilotage institutionnel classique. Malheureusement : pas si élémentaire…
*voir article à ce sujet ICI