[photo extraite de l’exposition de l’atelier photo Arranoen Begia, à Saint-Pée-sur-Nivelle jusqu’au 6 décembre 2024]
*CHRONIQUE PARUE DANS L’HEBDOMADAIRE MEDIABASK DU 17 OCTOBRE 2024
Alors que chaque été le débat sur la sur-fréquentation se repose, la politique du chiffre a la dent dure et nos destinations touristiques peinent à se réinventer…
« Un morne mois de juillet un peu partout en France », « Le Pays basque face à la baisse du tourisme », « Une baisse des retombées économiques cet été dans le 64 ». Medias locaux comme nationaux se préoccupent de chiffres à la baisse cet été. L’agence départementale du tourisme (AADT) nous explique que les nuitées baissent de 4% alors que la fréquentation globale reste relativement stable (5,5 millions de visiteur), avec même une hausse dans les vallées de montagne, et que nous aurions perdu plus de 30 millions d’euros sur 1 milliard de retombées à l’échelle du 64.
Mais de quelles retombées s’agit-il ? A qui profite le tourisme ? Pourquoi en sommes-nous encore à des analyses calées sur un modèle des années 80 : industrialisation et internationalisation du tourisme, mise en marché des territoires pour être toujours plus attractif (« moins de britanniques mais plus d’allemands, un marché travaillé par l’agence en termes de promotion », dixit l’ADT64).
De très nombreuses enquêtes ont été publiées cette année à propos du sur-tourisme et de ses impacts pour les territoires. Dans « Le Monde », une journaliste fait l’analyse économique suivante : « le bilan du tourisme pour l’économie française reste à dresser. Contrairement à l’industrie, le tourisme ne crée pas de valeur. Un guide et un technicien de laboratoire ne contribuent pas autant l’un que l’autre à la création de richesse. Les touristes achètent des nuits d’hôtel et de la restauration, qui créent certes de l’emploi, mais de l’emploi peu rémunéré et peu qualifié ». Et elle rajoute : « Le ministère des finances est moins disert sur ce que les touristes rapportent effectivement aux caisses de l’Etat et des collectivités. Pas grand-chose, en réalité, au regard de l’ampleur des flux de visiteurs ».
Mais réinventer le tourisme semble bien difficile tant le spectre des soi-disant retombées pèse sur les décideurs locaux, dans une forme de dépendance à cette activité. Pour le chercheur Philippe Bourdeau (spécialiste des questions de transition en montagne) : « l’ordre de priorité n’est donc pas de faire venir de nombreux touristes, mais de faire en sorte que les gens qui vivent et travaillent là aient une bonne vie. Il faut rendre ces territoires attractifs pour les résidents et pas seulement pour les touristes que l’on va chercher de plus en plus loin dans le cadre d’un modèle de moins en moins soutenable sur le plan économique et environnemental. » Là encore, des études montrent combien l’entreprenariat local a bien plus d’impact pour une territoire que l’économie d’une station de montagne. Chez nous, qu’a donc besoin la Soule : de plus de touristes ou de plus d’habitants ?
Le tourisme interroge nos schémas de pensées sur l’économie et le développement local. Or, le débat sur « l’après-tourisme » existe depuis 20 ans, et les travaux de P. Bourdeau comme d’autres experts nous invitent à changer de lunettes, à prendre en compte les nouveaux modes de vie et pratiques résidentielles, la porosité entre vacances et quotidien, les nouvelles aspirations à vivre autrement les territoires… On parle même de « trans-tourisme ». Oui, nous assistons à une crise identitaire du touriste et du tourisme, et il serait intéressant que notre territoire ne soit pas à la traîne sur le dépassement du tourisme et la transition vers un autre modèle plus en résonnance avec nos valeurs, notre recherche d’authenticité, de partage de notre culture et de nos patrimoines…
Lors du débat sur la stratégie tourisme de l’Agglo, nous avions proposé (dans le cadre des travaux du conseil de développements) d’oser une autre politique touristique… qui soit plus une politique d’accueil et de découverte du territoire. Ce changement de paradigme demande beaucoup de courage politique et de créativité. Il offre pourtant une perspective d’avenir face à l’enlisement dans la crise du logement et de la perte d’identité.
Venant au secours de la profession, un expert a signé une tribune en début de mois dans « Le Monde » : « la notion de surtourisme relève du mépris de classe ». La remise en cause du tourisme, selon lui, stigmatiserait les voyageurs issus des classes populaires. Mais justement, ces classes populaires ne peuvent plus venir (ou en tout cas pas longtemps) dans des territoires attractifs, comme le Pays Basque, où le coût de la vie est devenu si cher ! J’ai moi-même était frappé dans le débat local combien la question du « tourisme social » avait été écartée. Celui que j’ai connu quand j’accompagnais des enfants de milieux défavorisés à faire un mois de colo à Garazi comme à Hendaye, au début des années 90… Le Pays Basque est devenu une destination « premium » qui attire des hauts revenus qui vont acheter quelques produits locaux de plus en plus chers. C’est de ce surtourisme-là dont il est question ici, alors que la démocratisation du voyage (au sens de la découverte de l’autre) reste une chimère…