Image extraite du film, à retrouver sur internet ici : en français et en basque
*CHRONIQUE PARUE DANS L’HEBDOMADAIRE MEDIABASK DU 14 AOÛT 2025
Redécouverte de “The Land of the Basques”, une pépite télévisuelle datant de 1955, signée par le réalisateur américain, Orson Welles.
Mais que fait donc Orson Welles au Pays Basque ?
On connaît le cinéaste, peut-être moins l’homme de médias. Son œuvre est monumentale et sa trajectoire incroyablement précoce. Il connaît de grands succès dès 19 ans sur les planches des théâtres. Sur la station CBS en 1938 (il n’a que 23 ans !), il fait une adaptation radiophonique de La Guerre des mondes, qui selon la légende aurait provoqué une panique collective aux États-Unis. À 25 ans, Citizen Kane le hisse au rang des grands réalisateurs. Ce film, qui porte sur un magnat de la presse, est alors considéré comme le plus grand de tous les temps par son caractère innovant et l’influence qu’il aura sur le cinéma moderne.
Avec Hollywood, c’est “je t’aime, moi non plus” : Welles est tantôt l’enfant prodigue, tantôt le mal-aimé. La cité des anges ouvre des portes extraordinaires, mais les referme aussitôt quand la création bouscule son marketing et ses business plans. Tombé en disgrâce auprès des producteurs américains, Welles vient en Europe entre 1949 et 1956. Il refait du théâtre à Paris et Londres, et il collabore en 1955 avec la BBC sur différentes productions. C’est à ce moment-là qu’il réalise The Land of Basques – littéralement : le pays (ou la terre) des Basques, dans la collection Around the World, un carnet de voyage en six épisodes.
Le spectateur découvre un Orson Welles mi-journaliste, mi-ethnologue, tutoyant la caméra, dans un format télévisuel très moderne. Ce qui nous interpelle, c’est le regard qu’il porte sur les Basques, à la fois attendrissant et universel, euskaltzale et abertzale avant l’heure ! Enfin, ce reportage ouvre une réflexion profonde sur l’évolution de nos modes de vie, le basculement vers une société matérialiste et technologique… dont le Pays Basque était alors épargné. Morceaux choisis.
Dans un village de montagne, Orson Welles s’entretient avec un Basque revenu d’Amérique. Ils échangent en anglais sur son aventure de migrant puis sur son retour au pays où il vient de se marier. Welles salue sa femme – qui ne parle que le basque – d’un “enchanté” en français, so british… Posant sa caméra à la frontière avec la Navarre, Welles évoque la fermeture de celle-ci comme un “rideau de fer” : “Pour les habitants, qu’on soit en guerre ou en paix, la frontière a toujours été une théorie plus qu’une réalité. (…) Dans une moitié du Pays Basque, celle du général Franco, cette langue est interdite. La parler est une trahison. Les Basques étant ce qu’ils sont : on parle un peu plus la langue basque côté espagnol”. Et, il ajoute : “Les habitants ne sont ni Français ni Espagnols, ils sont Basques. Le statut [du Basque] ressemble à celui d’Indien d’Amérique. C’est un aborigène. Il était là avant les autres Européens”.
Orson Welles évoque la chasse aux pigeons qui fait l’objet d’une belle coopération entre “Basques des deux côtés”, en “parfaite harmonie et en toute illégalité”, mettant en pause la contrebande qui est ici (selon ses mots) “une industrie” ! Avec poésie, Welles décrit des techniques de chasse où on ne tue pas : “On attrape les oiseaux au filet dans le ciel comme les poissons”.
Retour à Ciboure où il s’entretient avec Lael Wertenbaker, journaliste du Times, qui s’est installée sur la côte basque. Il l’interroge sur sa perception des Basques : “Ils sont fiers de leur passé, confiants dans le présent, et ne craignent pas l’avenir”. Et elle l’argumente ainsi : “Ils ont survécu à tant de choses”, “leur pays est occupé depuis des siècles”… Puis le réalisateur poursuit une conversation avec la journaliste sur le mode de vie et l’éducation qu’elle trouve meilleurs ici qu’aux États-Unis : “Quand les enfants partent le matin, ils sont les rois de leur royaume, libres dans la rue, ils rentrent quand ils ont faim ou se sont faits mal. Ils connaissent tout le monde, ils jouissent d’une indépendance… et les Basques sont très indépendants ! (…) Aucun enfant ne s’attend à circuler en voiture. Il sait qu’il faut marcher”. Welles évoque le progrès technologique, le “divertissement assisté” par de nouvelles machines, et le fait qu’on ne sait plus s’amuser tout seul sans tourner un bouton. “En faisant avancer le progrès, on n’est pas toujours plus civilisés : les pays les plus civilisés sont ceux où le progrès n’est pas une préoccupation très importante.” Renversant et inspirant.