Mikel Charritton reste à la direction du Groupe Lauak jusqu’en 2029. (© Guillaume Fauveau)
INTERVIEW: Filipe Arretz (bidean) et Tidjan Peron (Mediabask) parue dans Mediabask le 23 octobre 2025
Pourquoi avez-vous pris la décision de céder la majorité de vos parts, alors que votre activité est en pleine croissance ?
Mikel Charritton : Entre 2010 et 2020, Lauak a été un consolidateur de la filière aéronautique. Nous avons fait huit acquisitions sur cette période, ce qui nous a permis d’atteindre une taille critique avec 200 millions d’euros de chiffre d’affaires et nous allons dépasser les 2000 personnes dans le groupe. La question fondamentale, finalement, c’est : est-ce qu’on peut continuer à consolider la filière, comme on l’a fait ? La réponse est non. La taille critique à avoir est trop importante aujourd’hui. Il y a des sociétés en face de nous qui sont trop grosses, nous ne pouvons pas suivre le rythme. Il était dangereux de rester seuls après 2030, avec la nouvelle génération d’avions qui va arriver entre 2035 et 2040. Nous serons alors sur ce qu’on appelle une phase plateau, il n’y aura plus d’augmentation de cadence.
Pourquoi vendre à une multinationale indienne ?
Après avoir fait une cartographie des sociétés, nous nous sommes vite rendu compte qu’en France, personne n’avait les moyens de nous racheter. Beaucoup de sociétés sont endettées, ou ont des tailles à peu près similaires à la nôtre. Il restait l’étranger. Mieux vaut choisir par qui on va être mangé. En fait, c’est un peu l’alignement des planètes, parce qu’une société, Wipro, nous a directement contactés. Nous estimons qu’à nous deux, en 2030, nous ferons 500 millions de chiffres d’affaires. Dans cinq à dix ans, il faudra faire un milliard pour rester un sous-traitant de rang un. Cela veut dire qu’il faut aussi faire 500 millions d’acquisition.
Mais pourquoi leur céder 51% des parts ?
Nous aurions préféré rester majoritaires. Mais Wipro veut avoir le contrôle et faire une consolidation financière, nous intégrer dans ses comptes. Vous imaginez bien qu’un industriel indien, à des milliers de kilomètres d’ici, s’il n’est pas majoritaire, il n’a pas le contrôle, il ne maîtrise rien.
Wipro ne connaît pas notre activité, nos sites, nos employés, nos clients, notre culture. Quelque part, il achète notre croissance. Il achète le pari. Il va nous aider à faire des acquisitions que nous n’aurions pas pu faire seuls.
Il n’y avait pas d’autres solutions, dans l’État français ou en Europe ?
Je suis très attaché au territoire du Pays Basque et très attaché, aussi, à la France. J’aurais préféré trouver une solution française. C’est évident qu’il y avait d’autres solutions en Europe, mais si nous avions pris cette direction, cela nous aurait obligés à mener une consultation ouverte. Ce sont des procédures très lourdes, qui durent deux ou trois ans.
Comment ont réagi vos partenaires comme Airbus ? Étaient-ils au courant, avaient-ils des réserves, vous ont-ils demandé des garanties ?
Certains de nos clients nous disent qu’ils n’ont pas de commentaire, d’autres comprennent le sens de notre décision. Le fait que je reste quatre ans minimum à la direction du Groupe Lauak est aussi de nature à les rassurer. Ces gages de pérennité, notamment financière, leur conviennent, parce qu’ils ont besoin de fournisseurs de plus en plus solides.
Dassault se développe en Inde. Ils vont y ouvrir une chaîne d’assemblage du Rafale et y assembler leur Falcon 2000. Airbus Hélicoptères a annoncé qu’il allait y assembler l’Écureuil. Ils sont en train de délocaliser. Airbus, c’est une société internationale aujourd’hui, ce ne sont pas des Français. Donc quelque part, que nous soyons achetés par des Indiens, cela ne leur fait ni chaud ni froid. Il y a dix ans, je n’aurais pas répondu de la même façon.
On parle de réindustrialisation dans l’Hexagone, mais s’en donne-t-on réellement les moyens ?
Il y a des outils qui existent. La Banque publique d’investissement est un super outil pour la construction des entreprises. De là à dire qu’on va réindustrialiser le pays, je n’irai pas jusque-là. Je pense que si on maintient le tissu industriel actuel, ce sera une belle chose. Mais je partage le fait qu’il y a un problème de fonds propres dans les entreprises de manière générale. On a des fonds d’investissement qui ne sont pas à assez long terme.
D’autres pays européens, avec des régions comme le Pays Basque Sud ou les Länder allemands, peuvent-ils être une source d’inspiration ?
Ils ont déjà beaucoup plus de moyens financiers que les Régions, en France, avec une forte autonomie, c’est vrai. On pourrait être meilleurs, et on laisse échapper des pépites comme Lauak…
Quels sont les impacts potentiels de cette vente sur les emplois au Pays Basque ?
Je suis à peu près persuadé que les emplois et le développement vont continuer, si on est compétitifs, productifs et si on continue à se développer sur des technologies de niche. Il n’y a aucune raison que cela s’arrête. Les Indiens ne veulent pas casser la machine.
L’aéronautique fait souvent l’objet de critiques, que ce soit sur l’impact écologique de l’aviation ou sur la vente d’armes à des pays dont les conflits sont condamnées à l’échelle internationale. Comment appréhendez-vous ces deux problématiques ?
Sur la décarbonation, l’aéronautique est très active. La prochaine génération d’avions émettra 75% de gaz à effet de serre en moins. En 2050, on attend l’avion à hydrogène vert.
Sur la défense on estime que c’est patriote de défendre notre pays, de produire des pièces pour le Rafale. C’est un signe de patriotisme économique. Nous sommes dans un monde qui est instable. On se doit de défendre notre nation.

