IPARRALDE ? C’est l’expression en basque que nous utilisons pour parler du Pays Basque, dans sa partie située en France. IPAR = (le) Nord; Iparralde, que l’on pourrait traduire par « côté nord »; en résonnance avec la partie du Pays Basque située au sud (en Espagne): HEGOALDE (ou « côté sud ») pour désigner les territoires d’Euskadi et Navarre. Dans notre imaginaire, « Iparralde » n’est pas une délimitation administrative du territoire, mais une acception plus large, plus anthropologique, un imaginaire, un commun…
*CHRONIQUE PARUE DANS L’HEBDOMADAIRE MEDIABASK DU 5 JUIN 2025
Il y a 20 ans, la question de l’avenir économique du Pays Basque était au cœur du projet de territoire. Choix économiques et choix de société étaient encore fortement liés. Episode 1.
En juin 2005, je faisais mon « coming bask » : retour au pays, pour rejoindre le Conseil de développement et le Conseil des élus, et pour lancer « Pays Basque 2020 ». Avant d’arriver, je m’étais plongé dans certaines lectures, dont les travaux de Xabier Itçaina. Une expression m’avait marqué : « économie identitaire ». X. Itçaina montrait comment la culture et les traditions ont généré une économie : l’émergence de coopératives industrielles, la structuration du monde agricole et du développement local, et toutes les autres formes de l’économie sociale et solidaire. Nous y reviendrons dans l’épisode 2.
Vingt ans d’observation des dynamiques territoriales me permettent d’affirmer que, oui, l’économie d’un territoire est avant tout une construction sociale et culturelle, et ici particulièrement. Le développement économique vient avant tout du territoire, des femmes et des hommes, de leur attachement, de leur sens de la transmission des ressources locales. Je me serais passionné à évaluer quantitativement cette « économie identitaire » : c’est pour moi, plus de la moitié de l’activité, et, dans tous les cas, le socle même de notre économie locale.
A plusieurs reprises, j’ai essayé de contribuer à transmettre auprès des jeunes la connaissance de notre territoire et de son économie. Dès 2006, le dispositif « Enseigner le Pays Basque » répondait à ce besoin. Fin 2023, avant de quitter la direction du Conseil de développement, j’ai souhaité produire un guide pédagogique sur l’économie d’Iparralde, dans le cadre du programme « ibilBIDE » sur l’orientation des jeunes. Je me réjouis que l’équipe actuelle du Conseil de développement ait finalisé ce travail et édité ce « récit de l’économie du Pays Basque Nord ».
Qu’est-ce que nous y racontons ? Que l’économie est le résultat d’une histoire, d’une géographie, d’une culture, d’une identité, d’un mode de vie. Dire aux jeunes, que, non, l’économie ce n’est pas le CAC40 mais la vie ! Ce sont tous les flux que nous générons au quotidien par nos activités, nos actes de consommation, et même par nos associations, les collectivités… Il y bien entendu toute l’économie liée à nos spécificités géographiques : la montagne, la mer, nos vallées, notre positionnement transfrontalier : des ressources minières des Pyrénées au pastoralisme, de la pêche au surf, de l’agriculture à l’agroalimentaire, de l’activité portuaire à la logistique internationale… Le développement du tourisme tient à la beauté de notre territoire mais aussi à sa vitalité culturelle, sociale et sportive, qui est aussi une économie, avec son offre, ses événements, ses productions. L’activité de la construction est liée à notre dynamique démographique, elle-même liée à notre attractivité. Nous pourrions continuer ainsi et montrer toutes ces interdépendances. Mais nous pourrions prendre en compte aussi tout le capital humain : l’attachement des femmes et des hommes à leur territoire et à son identité, leur volonté de créer de l’activité et des emplois, d’innover à partir de savoir-faire locaux. L’entreprenariat basque est intimement lié à cet engagement pour la culture et sa transmission. Si l’on creuse les trajectoires d’une grande partie de nos fleurons industriels locaux (tous secteurs confondus) on retrouve des histoires personnelles, des renoncements à réussir ailleurs pour investir ici, ou des retours au pays avec un engagement fort dans l’économie locale. Des engagements sans lesquels notre appareil de production se résumerait à quelques succursales d’entreprises « nationales ». Oui, l’économie, c’est culturel !
Le Pays Basque connaît depuis 30 ans une forte dynamique, en termes de création d’emplois et d’entreprises que les médias et les institutions valorisent beaucoup : elles s’en approprient le succès, en oubliant parfois d’en comprendre les ressorts identitaires, culturels et sociaux. Le monde académique, de son côté, met au gout du jour les notions de « responsabilité territoriale des entreprises », d’impact social lié à l’ancrage territorial… Autant de concepts à la mode qui sont ici une réalité depuis deux générations, grâce à la mobilisation autour du « vivre et travailler au pays » (nous y reviendrons le mois prochain).
Mais, a-t-on aujourd’hui un « projet économique » partagé pour Iparralde ? Comment renouveler ce sentiment de responsabilité et d’engagement dans le champ de l’économie ?