Doléances #1

[Capture d’écran du documentaire « Les Doléances », réalisé par Hélène Desplanques]

*CHRONIQUE PARUE DANS L’HEBDOMADAIRE MEDIABASK DU 13 FEVRIER 2025

Première épisode sur les Cahiers de doléances en Pays Basque : DELIVRONS LA PAROLE  !

« Monsieur le Président, je suis une maman d’un petit village du sud-ouest de la France. Ce petit mot pour vous dire que je suis mariée, avec deux enfants, que moi et mon mari on travaille en CDI depuis 15 ans, que l’on essaye de pouvoir garder notre maison et faire vivre notre famille correctement. »

« Monsieur le président de notre République. Je suis jeune père de deux enfants et j’ai peur pour leur avenir. »

On peut ressentir une certaine émotion à ouvrir les boîtes grises des Archives départementales et découvrir le contenu des cahiers de doléances. Dans le cadre de mon engagement au Conseil économique, social et environnemental régional (CESER) Nouvelle-Aquitaine, j’ai décidé d’aller lire ces cahiers. Un double objectif : tout d’abord, contribuer aux travaux du CESER* ; ensuite, comprendre ce que dit une partie de la population du Pays Basque Nord, si peu écoutée.

Pour rappel, le “grand débat” fut organisé par l’État suite au mouvement des Gilets jaunes, ouvrant la possibilité de s’exprimer, début 2019, notamment par des contributions à déposer en mairie. Il portait sur quatre thèmes : l’organisation de l’État et des collectivités publiques, la transition écologique, la fiscalité et les dépenses publiques, la démocratie et la citoyenneté. Les promesses de les rendre publiques se sont heurtées – si ce n’est au manque de courage politique – du moins, à la loi. Le Code du patrimoine ne permet pas de mettre en ligne des informations personnelles. Ainsi, tous les cahiers des mairies où apparaissent le nom des contributeurs et toutes les contributions arrivées par courriers et courriels… sont protégés durant 50 ans ! Ces règles administratives ont alimenté le sentiment général de confiscation du débat. Pour ma part, ce fut un parcours du combattant pour être admis en salle de lecture à Pau, et n’accéder au final qu’à une vingtaine de communes sur la cinquantaine qui les auraient déposés aux Archives. Les analyses portent donc sur la lecture de plus d’une centaine de contributions.

Que pouvons-nous commencer à en dire ? Comme dans d’autres régions françaises, les principales revendications portent sur la revalorisation des salaires et des retraites, la baisse de la TVA sur les produits de première nécessité, le rétablissement de l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune), le RIC (référendum d’initiative citoyenne), la proportionnelle aux élections, la prise en compte du vote blanc, la réduction du nombre de parlementaire… Je passe rapidement sur l’incompréhension générale de la violence des autorités (« Comment peut-on matraquer des manifestants ? ») ainsi que sur le passage aux 80km/h qui apparaît si aberrant aux automobilistes face à bien d’autres gros pollueurs…

Mais la lecture attentive de ce qui est exprimé permet de mieux comprendre des ressorts plus profonds.

L’attente la plus forte tourne autour du pouvoir d’achat, et, je dirais, de la capacité à vivre correctement. Les citoyens qui se sont exprimés sont plus en attente d’augmentation des revenus que d’aides sociales. Ils expriment un besoin de dignité : « Pourquoi aujourd’hui, ne pouvons-nous pas vivre de notre travail ? Beaucoup trop survivent. Le pouvoir de l’argent est de plus en plus insolent. Réduisons cet écart entre les pauvres et les riches pour un bien-vivre ensemble ».

Une personne ne consigne qu’une phrase dans le cahier de sa mairie : « Juste augmenter les bas salaires, pas besoin de grand discours, le reste est futilité ». Une autre explique qu’elle ne peut pas habiter à proximité de son boulot car le loyer est trop cher, qu’elle a des coûts de transport importants. Sur le cahier de la mairie, quelqu’un a mis les détails de son budget pour montrer combien il est contraint…

Derrière ces revendications, c’est une attente claire de plus de justice fiscale et sociale. Beaucoup souhaitent que tout le monde paye l’impôt (qu’il soit progressif, non plafonné pour les hauts revenus). Il est intéressant de constater que les citoyens font la part des choses entre la « grande économie » (grands groupes, finance…) dont il faut taxer les profits, et la réalité de l’économie locale qu’il faut (au contraire) soutenir : les artisans, TPE et PME. Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) ne devrait, par exemple, s’appliquer qu’aux petites entreprises et il faudrait taxer les produits importés, les produits de luxe, et la robotique qui supprime des emplois… Certaines personnes font des propositions très concrètes : « Je ne suis pas économiste ou autre mais j’aime la justice. Et il me semblerait juste de revoir certaines taxes, plus particulièrement la TVA ». Ce citoyen propose une TVA à 5% sur les produits français, 10% sur ceux venant de l’Union européenne (UE), 30% hors UE, et il rajoute : « Comment pouvons-nous encore commercer avec des pays qui ne respectent pas les droits de l’homme ou ceux des enfants ? ».

 

* Le CESER a été saisi par le président de la Région pour analyser les cahiers de doléances.».