[Photo © Guillaume Fauveau (Saint-Jean de Luz, mai 2023) – Sur son site, le photoreporter illustre cette photo ainsi: « Dans un contexte de forte tension autour du logement au Pays Basque, certaines personnes sont poussées à vivre dans des mobil-home »]
*CHRONIQUE PARUE DANS L’HEBDOMADAIRE MEDIABASK DU 10 AVRIL 2025
Dernier épisode : que nous racontent ces Cahiers pour l’avenir du Pays Basque ?
Nous l’avons vu dans nos deux premières chroniques (#1 et #2) , le contenu des Cahiers de doléances en Pays Basque diffère peu de celui des autres territoires de l’hexagone ; si l’on s’en tient par exemple à l’analyse portée par l’association des maires ruraux de France (AMFR). Le sujet central est celui de la justice sociale et fiscale, même s’il ne peut se penser, comme le dit l’AMRF, « indépendamment des questions relatives aux inégalités territoriales ». Pour l’AMRF, « le sentiment d’abandon social est fortement corrélé au sentiment d’abandon territorial ».
S’il y a très peu d’allusions aux problématiques locales dans les Cahiers (alors même que nous vivons ici une grave crise du logement), c’est tout à fait normal : le débat était tronqué ! En voulant cadrer les sujets et maîtriser ce moment d’expression populaire, le gouvernement a généré un échange stérile entre l’Etat et les citoyens, en squeezant la réalité des besoins locaux. Si l’on continue à tout attendre de l’Etat, c’est que l’Etat lui-même continue à tout régenter et contrôler.
Ce « débat national » reproduit cette relation toute particulière entre l’Etat et les français, entre le président et ses sujets, qui se ressent dans certaines expressions glanées dans les Cahiers : « Monsieur le Président, je ne suis pas une politique, pas une grande matheuse » ; « Je ne vais pas vous importuner plus longtemps » ; « Je reste à votre disposition pour approfondir le sujet »…
Cette immaturité collective montre une France incapable de réinventer le pacte démocratique, et ses élites à croire en l’intelligence collective et au bon sens populaire. Le débat n’a fait que révéler le décrochage avec le « contrat social » à la française tel qu’il a fonctionné, avec des systèmes de régulations et de solidarités en panne.
Pour autant, des territoires il en est question indirectement. D’abord, dans le modèle de développement et d’aménagement sous-jacent : une concentration urbaine de richesses et de services haut de gamme… avec des « employés de l’ombre » relégués dans les périphéries des agglomérations. Toujours plus éloignés et de moins en moins dans « le coup » de la métropolisation.
Le millefeuille institutionnel est associé au système administratif, plus ou moins opaque, de cumuls de mandats, d’argent public mal dépensé. A plusieurs reprises, il est évoqué qu’il y a beaucoup d’emplois publics locaux inutiles. On sent une difficulté à voir l’utilité des institutions locales (EPCI, Département, Région…), quand bien même elles portent des services publics de proximité importants. A l’inverse, il est exprimé un certain respect des petits maires qui n’ont pas les moyens de travailler… La décentralisation ne semble pas comprise et apparaît, 40 ans après, comme un échec. Ils sont plus nombreux à demander la « suppression de strates institutionnelles » qu’à réclamer plus de compétences locales !
Nous l’avons vu : c’est toute une partie de la population que l’on n’écoute pas qui a trouvé un moyen de s’exprimer à travers ces Cahiers. Contrairement à ce que l’on a pu en dire, les propos « réactionnaires » (anti service public, anti écolo, anti immigration, anti assisté, etc.) sont très minoritaires. Le rejet des élites exprime le sentiment d’un décalage toujours plus grand entre ceux qui maîtrisent les arcanes du système et ceux qui ne le maîtrisent pas. Mais ce rejet exprime une colère plus sourde, celle du manque d’écoute : quand on n’est pas écouté, on se sent rejeté et on finit par rejeter l’autre. Et on le sait bien, l’extrême droite – et elle n’est pas la seule…. – alimente des discours simplistes favorisant le rejet d’une partie de la population plutôt que le traitement des raisons profondes des disfonctionnements.
Ici en Pays Basque, cette population existe et elle n’est pas très visible. Trop peu écoutée, elle peut avoir les mêmes réflexes qu’ailleurs : se tourner vers un vote réactif.
Il est frappant que les noms qui apparaissent dans Cahiers sont si peu nombreux à être de consonnance basque. Les Basques ne se sont sans doute pas sentis concernés par ce débat « national » ? Les habitants du Pays Basque, qui n’ont pas d’origine locale, se sentent-ils en dehors de la trajectoire territoriale et des débats locaux ? Ne reproduisons-nous pas, ici, une forme d’élitisme entre ceux qui sont du bon côté des idées, et ceux qui ne le seraient pas ?
Nous ne pouvons nous résoudre à voir ici en Pays Basque une telle augmentation du vote RN et assimilé, alors que nous faisions partie des territoires où le score était historiquement bas. Avec 25%, aux dernières élections, le temps n’est plus de brandir des pancartes « anti-facho » mais d’oser un nouveau dialogue avec la diversité de notre population.
Notre territoire doit pouvoir organiser cette écoute, ce dialogue avec tout le monde, pour construire un modèle de société, en Iparralde, toujours plus inclusif.