Déchets du bâtiment: la solution par le local? [News Tank Cities]

 

Alors que la loi fixait un objectif de 70%, seuls 1/3 des déchets de second œuvre sont aujourd’hui valorisés. La loi AGEC se met en place depuis 2023 pour structurer les filières. Même s’il reste expérimental, le réemploi sera une solution plus durable encore. C’est ce défi qu’a souhaité relever, en Pays Basque, l’association Patxa’ma, devenue depuis peu une coopérative. A travers cette démarche locale exemplaire, tour d’horizon  sur l’avenir des déchets du bâtiment.

Contrairement au secteur des « travaux publics » qui maîtrise la gestion de déchets relativement homogènes, le secteur du bâtiment accuse un certain retard. Porté par un tissu de TPE/PME locales (94% des entreprises du BTP), il fait l’objet d’une hétérogénéité de chantiers, de corps de métiers, et de déchets produits… C’est au total 45 millions de tonnes (contre 30 pour les déchets ménagers), dans des activités de construction, de démolition, que ce soit pour des bâtiments publics ou privés, pour des collectifs ou des maisons individuelles…

La problématique se pose surtout sur les 10 millions de déchets de second œuvre plus diversifiés encore (menuiseries, cloisons, plomberie, électrique, mobilier, revêtements…)[1]. La situation est plus préoccupante encore sur les territoires en plein boom démographique et immobilier (les grandes métropoles et les territoires attractifs comme le Pays Basque) : rythme de constructions à flux tendu, beaucoup de rachats, de rénovations, de résidences secondaires ou meublés touristiques, de démolitions, des déchetteries qui saturent, des dépôts sauvages qui se multiplient…

La structuration de la filière de traitement des déchets du bâtiment est récente. Ce n’est que depuis 2023 et dans le prolongement de la loi AGEC[2], que se met en place la « REP PMCB ». PMCB comme : produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment. REP, comme responsabilité élargie du producteur. Le producteur (qu’il soit un fabricant français ou un importateur de produits) est responsable de la gestion du cycle de de vie des déchets : soit il la prend en charge directement, soit il confie cette responsabilité à un éco-organisme en contrepartie d’une éco-participation. Aujourd’hui, 3 éco-organismes sont sur la place[3] : Valobat, Ecominero, Ecomaison. Ces éco-organismes (concurrents par ailleurs sur certaines filières) sont en train de structurer à la fois les filières de recyclage et de valorisation au plan national, et les réseaux de proximité pour assurer la collecte par différents canaux : points de reprise, déchetteries professionnelles, distributeurs de plus de 4000m2 (obligés par la loi). Les déchetteries publiques structurent aussi une offre pour les professionnels (comme c’est le cas en Pays Basque avec le syndicat Bil ta Garbi). La loi AGEC oblige la reprise sans frais des déchets de bâtiments s’ils sont triés par les entreprises de travaux, comme me l’explique M. d’Assigny de Valobat[4].

Un double enjeu donc : que ce maillage territorial soit suffisant pour apporter une offre crédible et incitative ; et que le geste de tri se généralise chez les professionnels du bâtiment qui aujourd’hui payent en théorie les déchets non triés… (en théorie bien-sûr). Un travail de mobilisation de tous les réseaux professionnels au niveau national qu’avait mené la plateforme « Démoclés » [5] et qu’il s’agira de poursuivre. Mais le défi est bien territorial :  là où se trouvent les acteurs du bâtiment. Car Le diable est dans le détail, et les déchets finissent « à la beine » si facilement…

Dans ce paysage, le réemploi en est qu’aux balbutiements. L’étude de l’Ademe sur la préfiguration de la « REP PMCB » indiquait en 2021 que « moins de 1% de PMCB fait l’objet de réemploi « alors qu’il devrait être ( comme l’indique Valobat sur son site) « l’action prioritaire, dans la hiérarchie des modes de traitements des déchets (…) dans un contexte de raréfaction des ressources… ».  J. d’Assigny en convient lui-même : « il faut retrouver du bon sens constructif et refaire ce qu’on a fait de tout temps, jusqu’au début du XXième siècle ! ». Valobat a des ambitions mais il faudra beaucoup de temps pour atteindre une masse critique, car le réemploi est à contre-courant du modèle classique linéaire de la construction que nous connaissons.

Outre les freins culturels de la profession et d’un modèle de construction classique bien ancré, le réemploi bouscule les pratiques. Il nécessite sur le terrain des conditions de chantiers favorables : mener un diagnostic précis en vue de la phase de curage, et avant toute démolition ; dépose sélective des matériaux et équipements sélectionnés, en évitant tout mélange avec d’autres déchets. Bien souvent, une autre étape est nécessaire pour leur réutilisation : contrôle, nettoyage, réparation… L’activité de réemploi nécessite également un travail de coordination entre tous les acteurs publics et privés concernés par un chantier. Donner une seconde vie aux matériaux et équipements du bâtiment n’est pas une sinécure !

Pour le moment ce sont les initiatives locales qui ont pris le devant, comme en Pays Basque avec Patxa’ma. A l’origine deux jeunes ingénieurs, Julien Simon et Olivier Hirigoyen. Après une formation en génie civil et construction durable, Olivier a travaillé 6 ans pour un bureau d’études à Montréal. Julien, ingénieur en génie des précédés, a travaillé notamment dans une société internationale d’hydrocarbures. En revenant dans leur région, ils se croisent dans des associations écologistes locales, partagent leurs valeurs, leur envie de donner du sens à leur trajectoire, échangent sur la problématique de déchets de déconstruction. Ils participent à une formation de IDRE, une association qui œuvre à Pau (64) pour structurer la filière locale de la déconstruction et du réemploi. Tout devient rapidement évident pour eux : il faut qu’ils s’y mettent ! Dès cet été 2019, l’association Patxa’ma est née, des premiers chantiers sont lancés, et les garages de quelques amis servent de lieu de stockage ; le « bon coin » est leur première plateforme de revente de matériaux ! C’est à ce moment-là que je rencontre Julien et Olivier, alors que je pilotais le dispositif Tranz’eKo[6]. Julien et Olivier sont sincères et pugnaces, et créent petit à petit un véritable réseau local avec les différents acteurs concernés : professionnels de la construction, bailleurs sociaux, collectivités… Reconnus par leurs pairs, Patxa’ma parvient à attirer l’attention de la Communauté d’agglomération qui leur trouve un lieu pour y développer leur activité et stocker le matériel.

Patxa’ma est à la fois sur l’amont (diagnostic matériaux avant un projet de démolition/rénovation), sur le terrain (en réalisant des chantiers de dépose), et en aval en gérant la revente de ces produits… à prix solidaire. Cette notion d’accessibilité est importante pour Patxa’ma, dans l’esprit d’une économie à la fois circulaire et sociale. En back office, Patxa’ma fait de la « R&D » pour lever tous les freins comme les risques assurantiels, pour développer des outils de traçabilité, des procédures de reconditionnement…L’association noue des collaborations avec les écoles et centres technologiques locaux (ISA BTP, Estia, Nobatek) pour lesquels l’équipe est aussi intervenante dans les formations. Enfin, Patxa’ma s’implique dans les actions de sensibilisation locales menées pour le mouvement associatif et les collectivités publiques.

Car c’est un autre ingrédient qui fait la réussite de Patxa’ma : l’ancrage territorial. L’identité du territoire agit comme un dynamiseur : l’engagement des entrepreneurs pour leur territoire, la culture militante locale et le sens du collectif… Olivier est bascophone de naissance, et Julien apprend la langue basque. Cela fait partie de leur engagement, y compris dans la vie associative locale. Leur projet doit avant tout servir au « collectif » (le territoire). L’entreprenariat est un moyen, et l’entreprise doit rester autonome et à taille humaine : si elle grandit « il faudra donner les clés à d’autres pour qu’ils s’autonomisent à leur tour » !

Ni start’up (prête à être rachetée), ni petit Emmaüs local, Patxa’ma a trouvé son positionnement et peut franchir une nouvelle étape et évoluer vers une coopérative d’intérêt collectif (SCIC)[7]. Nos chemins se croisent à nouveau et je les accompagne pour actualiser leur stratégie. Le statut de SCIC permet à la fois de structurer l’activité avec les acteurs privés (une SCIC est une société), l’inscrire comme un outil du territoire (les partenaires publics peuvent être membres), et prolonger la dimension participative et non lucrative. La SCIC est créée fin 2023 et réunit un tour de table qui reflète le réseau local qu’ils ont su tisser : entrepreneurs du bâtiment, architectes et maitres d’œuvres, agglomération et syndicat de traitement des déchets, école d’ingénieurs, personnalités locales … et bien-sûr les salariés (sociétaires comme dans toutes les coopératives). Quels sont les chantiers de Patxa’ma ? Comme le confirment les responsables de Patxa’ma, ce sont surtout les acteurs publics (bailleurs sociaux et collectivités) qui jouent le jeu car elles doivent donner l’exemple. Les grandes entreprises commencent à s’intéresser au réemploi, sans doute pour redorer leur image ou mieux faire passer certains projets.

Le prochain pas est sans doute dans une bonne articulation entre l’action des éco-organismes et celle des acteurs locaux comme Patxa’ma. Avec un gros enjeu de stockage de matériaux et donc de foncier.

Si des initiatives comme celle de Patxa’ma sont importantes à soutenir, car elles préparent l’avenir, l’activité de réemploi fonctionne sur des modèles économiques encore très fragiles. La seule incitation fiscale proposée par le législateur est au niveau du bilan carbone d’une opération : l’utilisation de matériaux de bâtiment est comptée comme neutre. A ce rythme, le réemploi risque de demeurer expérimental pour longtemps encore…

Alors, pourquoi les pouvoir publics ne vont pas plus loin ?

La « REP PMCB » – nous l’avons vu – met la priorité dans la structuration des filières de valorisation et sur le réflexe du tri. Bref gérer un flux de déchets qui n’est pas près de désemplir. Car c’est tout le problème de fond sur les déchets du bâtiment : nous voulons gérer les déchets que nous produisons, alors qu’il faudrait avoir comme objectif d’en produire bien moins, et comme finalité de transformer nos modèles constructifs pour ne plus avoir à gérer autant de déchets néfastes pour l’environnement.

Si les solutions passent nécessairement par le local, on ne pourra pas demander aux collectivités territoriales et aux maîtres d’ouvrages d’être exemplaires sans que cette exemplarité ne soit valorisée fiscalement (donc financièrement). Sans que l’Etat en premier lieu (et en lien avec l’Europe) ne décide de donner un avantage significatif à d’autres modes de construction à très faible impact environnemental.

Malheureusement, nous sommes encore dans une économie de la réparation, et bien loin de celle de l’émergence d’un autre modèle. Il en va de toute la politique nationale de la transition qui n’a que pour seule boussole l’indicateur CO2 (principal gaz à effet de serre), quand le vrai indicateur est celui de l’empreinte écologique. La France se targue d’une baisse de ses émissions de CO2 depuis de nombreuses années, quand son empreinte écologique ne se réduit pas ! Nous importons jusqu’à 70% de notre consommation : nous externalisons, ainsi, nos gaz à effet de serre (GES) et notre empreinte environnementale dans d’autres régions et pays du monde.

Il en est ainsi pour le secteur du bâtiment : les normes nous amèneront à être de meilleurs élèves en termes de CO2 … quand nous continuons à construire 100% béton ; un modèle basé sur des cimenteries qui figurent parmi les sites industriels les plus émetteurs de GES.

Ce modèle permet de pas changer, fondamentalement.

 

[1] Ces déchets de second œuvre, sont des déchets non inertes : ils se décomposent avec le temps et deviennent donc dangereux pour l’environnement. Outre l’usage du bois, ces produit utilisent métaux, bitume, plâtre, plastique, PVC, du polystyrène, polyuréthane…

[2] Loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, adoptée en 2020 : https://www.ecologie.gouv.fr/loi-anti-gaspillage-economie-circulaire

[3] Valobat fait le lien avec les différentes filières structurées (bois, minéral, métal, plâtre, plastique…), Ecominero (spécialisé sur les déchets inertes d’origine minérale, comme ardoise, béton, mortier, pierre, terre, etc.), et Ecomaison (sur les autres déchets et matériaux liés aux revêtements de murs, sols, plafonds, etc.). On peut citer aussi Ecosystem, éco-organisme spécialisé sur les matériaux électriques et électroniques (présents aussi dans les bâtiments), et qui avait porté l’expérimentation « Démoclés » sur la démolition durable et préfigiguraut (cf. note 4)

[4] Jérôme d’Assigny est Directeur des Affaires publiques, de la relation aux Collectivités et à la maîtrise d’ouvrage Chantiers

[5] L’expérimentation menée entre 2014 et 2021, avait été portée les dernières années par Ecosystem, éco-organisme spécialisé sur les matériaux électriques et électroniques (présents aussi dans les bâtiments). La plateforme « démoclés » a permis de réunir les différentes parties prenantes du sujet (maîtres d’ouvrages publics et privés, acteurs du logement et du foncier, entreprises de travaux), de produire de la connaissance, des guides pratiques, des appels à projets pour accompagner des maîtres d’ouvrage… Elle a pris fin en 2022 au moment du lancement d’un projet de « tiers garant » de la traçabilité (une problématique qui reste d’actualité). 

[6]  Le dispositif Tranz’eKo visait à mieux accompagner les porteurs de projets agissant pour la transition écologique. Une expérimentation portée par le Conseil de développement du Pays Basque, avec le soutien de l’ADEME : https://societecivile-paysbasque.com/experimentations/programme-tranzeko/

[7] SCIC : société coopérative d’intérêt collectif (créé par la loi Hamon de 2014)

TRIBUNE PARUE DANS LE MEDIA EN LIGNE « NEWS TANK CITIES » le 12/04/2024 (cliquez ICI )