[ Photographie : Camille Chopin ]
*CHRONIQUE PARUE DANS L’HEBDOMADAIRE MEDIABASK DU 19 DECEMBRE 2024
Ce conte moderne donne à voir une diversité de trajectoires pour (re)devenir basque au XXIe siècle. Pour tout accueillir sans discrimination.
Tu as dû quitter ce pays pour aller te former, pour travailler… et parfois très loin. Très, très loin. Tu as tout fait pour revenir. Ton père t’as transmis la nostalgie, une idée de « terre promise », le besoin irrépressible d’y revenir après en avoir été éloigné (même à 100 km). Alors tu as fait ton Alyah, tu as pris la route, tu as posé tes valises, trouvé un job et un logement… Tu ne savais pas que cela coûtait si cher de faire son coming back, de vivre ici. Est-ce le prix à payer ? Et tu t’es rendu compte qu’il y avait beaucoup de prix à payer pour te re-naturaliser. Ça a été ton chemin de Damas. Mais maintenant tu n’es plus l’émigré qui a immigré… Tu es là, et tu es chez toi.
Tu es toujours resté ici, et autour de toi le pays s’est divisé en « pour » et « contre », en familles et sous-familles… Chez Otto on était basques jusqu’à l’os, on chantait, on veillait sur ce pays, on accueillait s’il fallait… Chez Ttanta, on avait honte d’être basques, on votait De Gaulle puis Chirac. On était complexé de cette identité qui ne vous quitte jamais.
Et puis un jour – en fait, après tant de décennies –, le conflit extérieur s’est calmé, et les conflits intérieurs avec. Tu votais « français » pour refuser le combat et l’émancipation, pour demeurer dans ta « négritude » (comme le raconte si bien A. Césaire). Et puis, tu as fini par trouver ces « basques » sérieux et responsables, et tu as même fini par voter pour eux, car « eux au moins, ils tiennent comptent de nous » !
Tu t’es réapproprié ce « nous » et tu espères qu’à la retraite tu te remettras au basque, qui est resté enfoui dans tes souvenirs d’enfance, ou dans quelque autre espace de refoulement. Et même maintenant, tu te rends compte que la basquerie a assez duré, cette sous-culture mise en avant, ce folklorisme au « goût basque »… Il est temps d’agir !
Tu es arrivé ici (« nouvel habitant ») et tu es tombé amoureux de ces basques, de cette culture et surtout de ce militantisme qui s’est perdu dans ta région d’origine. Tu as épousé la bask-attitude. Tu t’es inscrit à AEK et dans de nombreuses associations, tu t’es embasquisé dans les causes diverses : logement, climat, agriculture, migrants… Tu es devenu plus basque que les basques et tu as même basquisé ton prénom. Si tu l’avais pu, tu serais passé par le billard pour faire complètement ta bask-transition.
Tu as eu besoin de partir, de t’extraire de ces traditions si attachantes… mais trop attachantes aux poignets, aux pensées, aux émotions. Tu avais ce besoin d’être au monde, depuis l’ailleurs… pour enfin te rendre compte qu’il est possible d’être au monde depuis ici.
Tu es revenu et tu l’as retrouvé, ce pays. A-t-il changé ? Ou, as-tu changé ? En tous les cas, tu le regardes différemment, et ce que tu n’osais pas faire avant, tu le fais maintenant. Tu ré-enrichis ton pays. Il t’a nourri, tu le nourris à présent.
Tu voulais faire aussi ton coming out, out of Bask Country. Tout ce qui te semblait impossible à vivre au pays est devenu possible. « Bask & Gay » a pu devenir ta double nature, ici même. Et parmi bien d’autres couleurs dont tu en éprouves enfin la fierté, et la paix intérieure.
Tu n’as pas eu besoin de dire un jour à ton père et ta mère : « Ama, Aita, oui, je le vivais en cachette, mais je ne peux plus vous le cacher : je l’aime, ce pays, je vous annonce que je suis basque ! ».
Tu es enfin revenu sur la terre de tes ancêtres où tu n’avais jamais vécu, mais tellement adoré l’odeur des vacances, le son de la langue. Tu es à la recherche d’une impossible bascophonie : tu fais et refais des ikastaldi, à en chialer. Tu avais mis tes enfants en bilingue, dans l’espoir d’une double culture assumée. Mais le système bilingue s’avère être une grosse blague : une option de longue durée qui te permet juste de faire la fête en basque. Et toi, un jour tu as arrêté de te ronger avec ces demi-résultats. Tu as même accepté de n’être, pour jamais, un vrai bascophone, sans renoncer à être, pour toujours, un vrai basque !
Ce conte pourrait s’enrichir de bien d’autres récits, bien d’autres coming bask. Des trajectoires qui traduisent de besoin d’être basque, quelle que soit son histoire et son origine. Un besoin de consolation pour certains et d’intégration pour d’autres. C’est le signe d’un pays vivant et attracteur, ouvert aux quatre vents (lau haizetara) : saurons-nous transformer tous ces récits en une grande histoire collective ? Non, les « nouveaux arrivants » ne sont majoritairement pas des arrivistes… Nous sommes un certain nombre, depuis la création de l’Agglo, à appeler de nos vœux à une « politique d’accueil » (qui soit aussi une chance pour l’euskara). Ce besoin de « devenir basque » est une opportunité majeure pour construire Iparralde de demain.