« Du linéaire au circulaire »*

*CHRONIQUE PARUE DANS L’HEBDOMADAIRE MEDIABASK DU 7 MAI 2025

Après deux générations de sur-exploitation des ressources et de sur-production de déchets, retour à une économie de bon sens ?

Le système économique actuel est celui d’une économie linéaire : produire plus, c’est toujours plus d’extraction de ressources, en amont, et de déchets en aval. On n’en prend pas conscience, mais ce modèle est profondément ancré dans nos imaginaires au point de sembler constituer une forme de normalité… Or depuis la nuit des temps, la réponse à nos besoins est passée par une approche économe de nos ressources… Les plus âgés, parmi nous, se souviennent encore des bouteilles consignées. L’économie circulaire porte en germe une contre-révolution : comment faire mieux avec moins ?

Jusqu’à présent, l’action publique a déployé toute son énergie et ses moyens sur la gestion et le traitement des déchets, le développement de filières de recyclage. Mais le recyclage est un pis-aller : son impact écologique demeure élevé (eau, extraction de ressources…). Pour illustrer, sait-on qu’une bouteille réemployée c’est ¾ d’énergie en moins qu’une bouteille recyclée ?

La réparation et la réutilisation demeurent les actions les plus vertueuses, et plus radicalement : la baisse de la consommation ! Mais sommes-nous prêts à changer nos pratiques ?

L’économie circulaire fait émerger de nouvelles approches de la production de biens et services. L’éco-conception est une façon de créer des produits dont l’impact environnemental est le plus faible possible tout au long du cycle de vie. L’écologie industrielle et territoriale (EIT) vise à créer des boucles entre acteurs économiques : pour simplifier, faire en sorte que le déchet d’une entreprise devienne la matière première d’une autre entreprise. Enfin, le dernier modèle à la mode : l’économie de la fonctionnalité et de la coopération (EFC) où l’on ne vend plus l’achat d’un bien mais l’usage de celui-ci (c’est ce dont il est question dans l’autopartage, par exemple).

Toute cette dynamique est enthousiasmante, mais les modèles économiques sont fragiles. Le neuf et le jetable reste bien moins cher que le réemployable, tant que la fiscalité de favorisera pas le mieux disant écologique et social. Les règles comptables internationales demeurent d’un autre âge : le capital financier est valorisé dans le bilan d’une entreprise, alors que la ressource humaine est comptablement une « charge ». Le capital naturel est un impensé… Jacques Richard (dont j’ai eu la chance de suivre les cours il y a vingt ans) défend depuis longtemps une « révolution comptable » pour que l’entreprise soit redevable de toutes les ressources qu’elle utilise…

En attendant, l’avenir du circulaire nécessite un soutien sans faille des pouvoirs publics auprès d’acteurs très engagés à réinventer l’économie de demain.

Parmi eux, deux pépites locales du réemploi, aujourd’hui repérées au plan national. Les Retournées accompagne un groupe de producteurs et de distributeurs locaux pour passer au réemploi de leurs bocaux, et étudie le passage au réemploi des barquettes de repas dans le portage à domicile. Fondée en 2019 par Justine Roux, l’association a su créer un centre de lavage à Lahonce et espère faire du Pays Basque un pôle pour tous contenants alimentaires. Patxa’ma, créé à la même époque par Olivier Hirigoyen et Julien Simon, a su faire reconnaître le réemploi dans le bâtiment, que ce soit auprès des entreprises que des constructeurs publics et privés. A la fois opérateur de la déconstruction et plateforme de vente de matériaux, Patxa’ma s’est transformé en coopérative et rassemble une soixantaine d’actionnaires représentatifs de l’écosystème local.

Au sein de ces deux équipes (que j’ai le plaisir d’accompagner), un questionnement sur l’avenir : comment ne pas louper l’étape suivante de la massification ? Avec les lois récentes, l’Etat et l’ADEME ont porté de nouvelles exigences auprès des éco-organismes (en charge de la gestion des déchets professionnels) pour aller vers plus de réemploi. Des projections à 5 ans permettent de voir se dessiner de véritables plateformes régionales pour traiter de futurs gros volumes. La massification du réemploi porte à la fois la promesse d’une généralisation de ces pratiques professionnelles, et en même temps le risque d’une homogénéisation par le haut. Comment éviter que les très grandes entreprises, tant dans le bâtiment que l’agro-alimentaire, n’imposent le rythme et l’organisation des territoires, par la masse critique qu’ils représentent au niveau national ou international ? Comment permettre à nos filières locales de rester dans le coup, voire d’inventer des modèles régionaux qui partent du territoire ? C’est ce qu’essayent d’inventer Les Retournées et Patxa’ma.


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