Pays Basque: un conseil de développement à statut particulier [Mediabask]

Fin 2023, j’ai quitté la direction du Conseil de développement du Pays Basque. Je vous raconte comment cet outil de démocratie participative aura été un laboratoire, au plan national, de la gouvernance partagée et du développement local. 

Le CDPB nait en 1994, deux ans après le lancement de « Pays Basque 2010 ». Il devient un espace de dialogue entre tous les acteurs et les institutions, et de production d’une vision collective. Aux côtés des élu.es (rassemblés au Conseil des élus à partir de 1995), il permet l’élaboration d’un Projet de territoire et des premiers programmes de financements. La convention spécifique de 2000 sera l’un des grands aboutissements de cette démarche : ni plus ni moins un « contrat de plan local », mobilisant tous les financements possibles de l’Etat, de la Région et du Département. Cette « gouvernance territoriale » (tout à fait unique en ce genre) aura permis aussi de générer de nombreux outils, négociés avec le gouvernement français, comme l’Office public de la langue basque et l’EPFL, et bien d’autres encore.

En 2005, cette gouvernance entre société civile et élu.es relance une nouvelle phase, avec « Pays Basque 2020 ». Et c’est là que je rejoins l’aventure, comme premier salarié à mi-temps sur les deux associations (CDPB et CEPB). Malgré des temps institutionnels plus compliqués, nous réussissons à élaborer un nouveau projet de territoire et un Contrat territorial, relativement ambitieux et innovants. Ce nouveau cycle nous permet d’ouvrir de nouveaux chantiers : jeunesse, Agenda21, aménagement durable, marque territoriale… Loin de se fragiliser, cette gouvernance territoriale reprend du poil de la bête, et, forte d’une maturité de travail entre société civile et élu.es, nous lançons à partir de 2010 un grand chantier sur l’évolution de la gouvernance du Pays Basque. Cheville ouvrière de ce grand chantier, j’ai pu co-animer ce processus qui a généré un consensus fort autour de la revendication d’une collectivité à statut particulier, puis de la création en 2017 de la Communauté d’agglomération Pays Basque (CAPB).

Immanquablement, le CDPB aura été un artisan d’une paix sociale en Pays Basque, permettant de trouver des consensus forts, jusqu’à manifester dans la rue en 2013 pour la collectivité, et être à l’origine, aux côtés des élu.es, de la création de la CAPB !

Mais alors que le vote en faveur de l’EPCI unique est presque acquis, l’Etat envisage dès début 2016 la fin du CDPB (sous sa forme associative). Venant juste de prendre la direction du Conseil de développement, je m’engage avec une poignée de fervents défenseurs de la liberté de la société civile dans un nouveau combat. Nous allons persuader nos élu.es de maintenir cette association, le prouver juridiquement, et même le renforcer politiquement. Ironie du sort : à défaut d’une collectivité, le Pays Basque se dote d’un « conseil de développement à statut particulier » !

Ce nouveau CDPB, à la fois partenaire de la CAPB et indépendant, va remobiliser la société civile, passant de 100 membres en 2016 à 300 en 2018, puis 400 en 2021 ! C’est aujourd’hui le seul conseil de développement autonome dans le paysage de toutes les agglomérations françaises. C’est aussi le plus important en taille[1].

Le 2 décembre prochain, nous réunissons une assemblée renouvelée pour la période 2024-2026, avec plus de 400 membres, dont 1/3 de nouveaux ! N’est-ce pas le signe d’une démocratie vivante en Iparralde ?

Aux côtés d’une institution aussi puissante que la CAPB (le plus grand EPCI de France, avec 21 compétences, plus de 1200 agents…), le Conseil de développement a su trouver sa place et être l’aiguillon des nouvelles politiques publiques de l’Agglomération. Et, pour être au rendez-vous et en amont des décisions des élu.es, il a fallu suivre le rythme ! Nourrir dès 2018 le « projet communautaire », rendre des contributions sur l’habitat, la mobilité, le plan climat, le transfrontalier, la montagne, le tourisme, le SCoT et plans locaux d’urbanisme, etc. Le CDPB s’est saisi de sujets comme le numérique, la culture, l’économie de la transition (à travers l’animation pour l’ADEME du dispositif Tranz’eKo), et l’orientation des jeunes (avec ibilBIDE, expérimentation en cours, soutenue par la Région)…

Immanquablement, le CDPB a su garder une fonction « stratège » et demeurer la « boussole » du territoire. Plus qu’un outil de démocratie participative : c’est un outil de fabrication collective d’une « pensée territoriale ». Il permet non seulement l’expression de la diversité de notre société civile que l’émergence de propositions fortes pour l’avenir du Pays Basque…

En ouvrant dans les prochaines semaines le chantier prospectif « Pays Basque 2040 », nous avons démontré que le CDPB est plus que jamais reconnu dans sa capacité à dessiner l’avenir possible de notre territoire. Le CDPB continuera-il à être la « boussole » du territoire ? C’est à mon avis l’un des grands défi pour les prochaines années.

La force (et par conséquent la fragilité) du CDPB est qu’il repose sur des femmes et des hommes profondément attachés et engagés pour leur territoire. J’ai fait partie de cette communauté qui a mis son engagement pour l’intérêt général du territoire au-dessus de toute recherche de reconnaissance personnelle ou institutionnelle. Ensemble, nous avons piloté le CDPB comme un outil, un moyen de mobilisation sociale, et non comme un but en soi. Tout comme, la CAPB n’est pas un but en soi, mais un moyen pour avancer dans le développement et l’aménagement durables du Pays Basque.

Si le but est de construire le meilleur avenir possible à notre territoire, c’est dans la façon de mobiliser et de faire ensemble que ce but a tout son sens et pourra être atteint. Pendant toutes ces années, j’ai eu à cœur, avec une équipe de bénévoles et de professionnels, d’insuffler un état d’esprit pour que le CDPB soit une maison ouverte à tous, car ce qui nous rapproche est bien plus important que ce qui nous divise. Et cela passe par une façon d’accueillir les acteurs autour de la table, avec chaleur et amitié, de favoriser l’écoute de chacun.e quel que soit sa sensibilité.

Les prochaines avancées de notre territoire se feront en cheminant ensemble. Le Pays Basque est notre Commun à tou.tes.

 

[1] Le CDPB et le plus important conseil de développement en France, comptant 400 membres, quand même les plus grandes métropoles ne réunissent pas plus de 200 acteurs dans leurs conseils de développement (de Bordeaux à Paris, de Lyon à Marseille).

CET ARTICLE EST UNE ADAPTATION DE LA TRIBUNE PUBLIQUE PARUE DANS L’HEBDOMAIRE MEDIABASK DU 20 NOVEMBRE 2023, SOUS LE TITRE: « LE BUT, C’EST LE CHEMIN »