La direction du Groupe Lauak a informé l’ensemble de ses salariés de son projet de cession à l’Indien Wipro en juin dernier. (© Guillaume Fauveau)
DOSSIER PARU DANS L’HEBDOMADAIRE MEDIABASK DU 23 OCTOBRE 2025
La cession de 51 % des parts de la famille Charritton à la multinationale indienne Wipro interroge sur l’avenir du Groupe Lauak au Pays Basque Nord. L’occasion de se pencher sur cette industrie, à la fois ancrée dans le territoire et connectée au monde.
par Filipe Arretz (bidean) et Tidjan Peron (rédacteur en chef de Mediabask)
L’annonce, au printemps dernier, du projet entre Lauak et Wipro a été un choc pour beaucoup. Il semblait donc important de revenir sur cet événement marquant de l’actualité économique, au moment où le contrat est en train de se finaliser. La décision prise par la direction du Groupe Lauak interroge, alors qu’il s’agit de céder son pouvoir de décision à un conglomérat international, basé en Inde.
Nous avons rencontré Mikel Charritton, le directeur général du Groupe Lauak (voir ICI l’interview).
Il y a 50 ans, son père, Jean-Marc Charritton, est parti d’un petit atelier, Eskulanak, pour devenir un sous-traitant de premier rang de l’industrie aéronautique sur le territoire. Mikel Charritton nous explique les raisons de cette vente. Président de l’association Pays Basque industries, qui regroupe de nombreux industriels, comment regarde-t-il la place de l’industrie sur notre territoire ?
Nous sommes aussi allés en Soule rencontrer des chefs d’entreprises pour comprendre leur dynamique industrielle mais aussi sur le développement de la vallée.
À l’heure de la réindustrialisation des territoires et de la recherche de souveraineté industrielle, comment ne pas y voir un signe contraire ? Qui plus est dans un secteur sensible : l’aviation civile et militaire. Qu’est-ce que cela raconte de l’incapacité de l’action publique et des dispositifs financiers à accompagner le développement d’une entreprise de taille intermédiaire ?
Car ce fut l’autre surprise de cette actualité : le peu de réactions publiques à un événement majeur. Comment ces acteurs voient-ils cette perspective ? Y avait-il des alternatives ? Quels sont les risques en matière de savoir-faire, d’emplois ?
Pour décrypter cet événement et en comprendre les enjeux, nous sommes allés à la rencontre d’entrepreneurs, de chercheurs et de décideurs politiques et économiques pour vous livrer l’analyse à retrouver ICI.
Mais d’abord quelques clés pour comprendre l’histoire et l’évolution de cette activité jusqu’à aujourd’hui…
Un secteur historique de l’économie du territoire
En 2020, les chercheurs Lætitia Maison-Soulard et Vincent Frigant ont publié “L’Industrie aérospatiale en Nouvelle-Aquitaine. Un siècle d’histoire et de patrimoine” (éditions Le Festin). L’ouvrage permet de prendre conscience de l’ancrage territorial de ce secteur, dont le développement est lié à des histoires de femmes et d’hommes, de familles, d’opportunités ou de volontarisme. L’histoire de l’industrie aéronautique s’est écrite dans celle des territoires: des premiers vols dans le ciel béarnais à la fin du XIXe siècle à la structuration aujourd’hui d’une “filière d’excellence”. C’est sous le Front populaire que son déploiement s’est accéléré : les vallées pyrénéennes apparaissaient comme un espace de protection, à l’aube de la seconde guerre mondiale.
À Anglet, Pierre-Georges Latécoère a créé une première usine au Pays Basque Nord en 1937. Le secteur a connu de nombreuses mutations durant les Trente glorieuses, marqué jusque dans les années 1980 par le poids du militaire et la commande publique. Avec la fin de la guerre froide et la massification du trafic aérien, le civil a pris le dessus au cours des années 1990, et a permis à des grands groupes comme Airbus de redécoller.
Le site d’Anglet est passé entre les mains de Breguet avant d’être repris par Dassault aviation. Safran a repris les sites béarnais de Messier et Turboméca s’est installé à Tarnos (Landes). Le secteur s’est recomposé et s’est mondialisé, a intégré les logiques de l’industrie automobile, a changé de modèle.
Malgré toutes ces mutations, “les compétences des hommes et des territoires demeurent prégnants” dans ce secteur, indique Vincent Frigant. Une industrie finalement peu automatisée, avec des métiers nécessitant habileté manuelle et précision : chaudronnerie, tôlerie, soudure, assemblage de pièces mécaniques…
Aujourd’hui, la Communauté d’agglomération Pays Basque dédie l’une de ses principales technopôles, Technocité, à l’aéronautique, avec sa plateforme technologique Com-positadour orientée vers la robotique industrielle, les matériaux composites, la fabrication additive métallique (Addimadour), la propulsion aérienne (Turbolab)…
Le secteur est désormais interconnecté aux grands donneurs d’ordre comme Airbus, Dassault ou Safran. Lauak appartient aux sous-traitants de premier niveau. Son avenir questionne d’autres dimensions : la dépendance de PME à des secteurs en pleine mutation, et la difficulté des entreprises familiales à ouvrir leur capital ou à transmettre. Des questions que se sont posées des PME en Soule, avec des réussites récentes (EMAC, Artzainak). Les entrepreneurs se sont investis sur l’amélioration du niveau des formations, autre enjeu clé du secteur.
L’aéronautique au Pays Basque Nord en chiffres
Derrière l’image d’un territoire où le tourisme et l’agriculture dominent, l’industrie a également son importance. Le Pays Basque compte plus d’emplois dans l’industrie que dans le tourisme. La désindustrialisation a été moins forte ici qu’ailleurs, au point d’obtenir par l’État le label Territoire d’industrie.
12 %. C’est la part des emplois industriels parmi les 110 000 salariés du Pays Basque. (Source : Insee)
1 emploi industriel génère 3 à 5 emplois induits. C’est l’effet multiplicateur propre à l’industrie et à l’agriculture sur les autres activités d’un territoire (fournisseurs, services, construction…), ce qui en fait un socle de l’économie locale.
3 500. C’est le nombre d’emplois estimés dans le secteur aéronautique, au Pays Basque Nord, soit un quart des emplois industriels. (Source : CAPB). On en compte presque autant autour de Tarnos (Landes).
80. C’est le nombre d’entreprises industrielles situées au Pays Basque Nord qui font partie de la filière aéronautique. (Source : CAPB).
1,7 milliard. C’est, en euros, le chiffre d’affaires cumulé en 2024 par les 70 industriels regroupés au sein de l’association Pays Basque industries. (Source : Pays Basque industries).
3. C’est le nombre de pôles où l’activité industrielle aéronautique se déploie au Pays Basque Nord, avec des entreprises autour du BAB (Dassault, Safran, Akira, Aero Sud Ouest…), les différents sites du Groupe Lauak autour d’Hasparren, et de nombreux industriels en Soule (SPIE Aero, Arzainak…).

